Mauvaises mines
Projets miniers : L’Hexagone à la foreuse
« C’est pas très gai, les mines », ironise Goulven. Une petite demi-heure qu’on tient la tchatche par téléphone. Goulven fait partie du collectif anti-mine Douar Didoull, dans les Côtes-d’Armor1. En 2015, les militants n’ont pas arrêté : porte-à-porte, réunions, rando-manifestations. Un beau point d’orgue le 14 novembre 2015 à Landivisiau (Finistère), où un millier de manifestants battaient le pavé pour dénoncer les projets délirants en train de saccager la Bretagne : centrale au gaz, méthaniseur, aéroport, extraction de sable… et projets miniers ! Quand il cause mines, Goulven parle d’« État dans l’État » tant les procédures sont opaques. Consultés, les maires l’ont été, mais ce fut au pied levé, juste après les dernières élections municipales, les équipes à peine constituées. Des documents épais comme un bottin, à étudier en moins de deux. Pour les mairies qui n’ont pas eu le temps de rendre leur avis, les services de l’État ont joué aux boute-en-train autoritaires : « On a considéré qu’elles étaient pour ! », explique Goulven.
Marc habite Lussat depuis 1995, dans le nord-est de la Creuse. Quand il cause, on dirait un expert, tellement il connaît sa partition. Le projet de mine aurifère de Villeranges, ce membre du collectif StopMines23 en a entendu parler par hasard : « J’ai appris la nouvelle du PERM (permis exclusif de recherche de mines) par des voisins, fin novembre 2013, alors que l’enquête publique avait eu lieu en août 2013. Le maire n’en a pas parlé. Tout s’est fait en catimini, dans la confidence. » La farce ne s’arrête pas là : la zone actuellement cartographiée par la société Cominor n’est pas vierge de toute recherche. De 1980 à 1989, la feue Total Compagnie minière avait déjà reniflé le filon aurifère et truffé le sous-sol de 24 kilomètres de forage. Sans la baisse du cours de l’or, le permis d’exploitation aurait été accordé depuis belle lurette. « La Cominor sait très bien que le gisement a été caractérisé. Elle essaie de nous endormir avec sa communication : on ne sait pas ce qu’on va trouver, laissez-nous chercher, peut-être qu’il n’y a rien, alors qu’ils savent très bien. Ils reviennent obtenir le permis qu’ils n’ont pas eu il y a trente ans. » Ok, mais aujourd’hui, les mines sont aussi propres qu’un bloc opératoire. Elles sont même « responsables », nous dit la pub. « Cette histoire de mine responsable, c’est du marketing. Le projet est une mine à ciel ouvert d’au moins 50 mètres de profondeur. La roche du sous-sol est truffée d’arsenic : on sort quatre grammes d’or pour un kilo d’arsenic. Des millions de tonnes de roche arséniée vont nous rester sur les bras. Quand il pleut sur l’arsenic, ça pisse partout et vu l’altitude où on est, toute notre vallée va être polluée. La Cominor ne va pas ramener ses déchets à son siège social au Luxembourg, ni au Canada, où est sa maison-mère. »
Cominor en Creuse, Variscan Mines en Bretagne, les deux sociétés minières sont dites juniors – en opposition aux majors, grosses sociétés d’exploitation – car spécialisées dans l’exploration des sous-sols. Elles font leur miel grâce à l’art de la magouille spéculative. « Enregistrées sur les marchés boursiers hautement permissifs comme la Bourse de Toronto (TSX) ou sa concurrente de Sydney (ASX), [les juniors] ne tirent des bénéfices que de la spéculation et financent leurs campagnes d’exploration en levant des fonds (des capitaux à risque) sur ces marchés boursiers », explique le chercheur équatorien William Sacher dans un article édifiant. Quand boursicotage rime avec carottage.
Dans l’Hexagone, ce ne sont pas moins de huit PERM qui sont en cours de prospection. Huit autres demandes ont été déposées et attendent l’aval des autorités. « Deux facteurs peuvent expliquer la relance des recherches de métaux en France : la hausse des prix, malgré une petite baisse aujourd’hui, qui restent à des niveaux intéressants pour continuer les travaux d’exploration, et l’intérêt croissant pour les coproduits ou sous-produits, des petits métaux (antimoine, cadmium, germanium, baryum, etc.) associés à des métaux principaux particulièrement recherchés par l’industrie électronique et les nouvelles technologies vertes », décrypte Anna Bednik. Avec son compagnon, Anna a parcouru l’Amérique latine et a rencontré nombre de communautés indigènes et paysannes en lutte pour préserver l’intégrité de leur territoire. De retour en France, la journaliste s’est engagée sur le terrain des gaz et pétrole de schiste. En janvier 2016, son expérience accumulée donne naissance au bouquin Extractivisme2 où elle décrit avec minutie une effrayante intensification de l’exploitation industrielle de la nature. Anna avale une gorgée de café, puis résume le rôle de lanceur d’alerte qu’elle a joué à travers le collectif aldeah : « Aujourd’hui, une dizaine de collectifs se battent contre des projets miniers. Le mouvement se structure petit à petit. Depuis deux ans, le collectif creusois organise le festival Terre d’aucune mine (No Mine’s Land) en été. Y participent des gens de Creuse, de Sarthe, des Bretons, des habitants de Salsigne. » À Salsigne (Aude), la dernière mine d’or française a fermé ses galeries en 2004. Le territoire est dévasté par une pollution à l’arsenic. L’incidence des cancers du poumon et du larynx y crève tous les plafonds.
« Le périmètre visé par le projet minier de Lok-Envel est assis sur cinq masses d’eaux souterraines. En termes de pollution, il n’y a pas pire endroit », constate amèrement Goulven. Variscan Mines doit faire des prélèvements tous les deux cents mètres, avec des forages variant entre cent et cinq cents mètres. Trois sont prévus pour descendre à 1 500 mètres. « À cette profondeur-là, on ne cherche pas du tungstène, tique Goulven. Mais plutôt des hydrocarbures non-conventionnels. Gaz ou pétrole de schiste, en clair. Il ne faut pas oublier que le seul permis de gaz de schiste est en Bretagne, au large de l’île d’Ouessant. » Côté creusois, on ironise : « La mine dite responsable, on appelle ça la mine responsable des désastres économico-sociaux et environnementaux », lâche Marc avant d’évoquer les procédés de cyanuration comme autant de « dramatiques polluants ». Les experts jurent leur grand dieu scientiste que les techniques sont plus propres et efficaces, mais rien de concret n’est avancé. Dans le pire des cas, des indemnisations seront versées. « On vous intoxique, on vous tue, mais rassurez-vous, vous allez toucher de l’argent », grimace Marc.
« Tout le monde est concerné par l’extension des frontières extractives. Que ce soit pour la grande industrie, un projet minier ou pétrolier, les logiques de destruction de la nature sont les mêmes. Pour obtenir ces matières, on détruit des territoires, des écosystèmes et des possibilités de vie », résume Anna Bednik. Avec ce topo, on en oublierait presque la carotte hollandaise : les emplois ! En Creuse, le gisement est estimé à deux cents jobs. En vraie rabat-joie, l’association StopMine23 a fait ses propres calculs. Marc : « On sait très bien qu’une mine à ciel ouvert, aujourd’hui, c’est trois camionneurs qui conduisent toute la journée, des ingénieurs artificiers qui viennent du Canada poser deux bâtons de dynamite une fois par mois, trois gars pour tout mettre au concasseur et éventuellement un gardien de nuit pour surveiller le chantier. » Dans les Côtes-d’Armor, Variscan Mines a fini par avouer qu’aucun job n’était à la clé. Y a pas que les forages qui atteignent des profondeurs abyssales, le foutage de gueule aussi.
1 Goulven a aussi tenu la plume dans ces colonnes, cf. son article « Un nouvel eldorado minier ? » paru dans CQFD n°134 (juillet-août 2015).
2 Extractivisme, Anna Bednik, Le passager clandestin, 2016.
Cet article a été publié dans
CQFD n°140 (février 2016)
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Paru dans CQFD n°140 (février 2016)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Étienne Savoye
Mis en ligne le 18.07.2016
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