En juin, le stade du Mans n’a accueilli qu’un seul match, de foot féminin. En mai, une chasse aux œufs de Pâques pour 200 gamins, devant les tribunes vides. Conçu pour la ligue 1, livré en 2011 mais privé d’équipe pro deux ans après, le stade cherche à limiter la casse après la faillite du club, finalement rétrogradé en division d’honneur amateur, l’équivalent de la 6e division. Le grand gagnant reste Vinci qui a construit le stade en PPP, partenariat public privé, et le gère pour 35 ans. Une fois le club pro (qui devait assurer la moitié des recettes) en déroute, le groupe de BTP a réclamé à la collectivité locale le manque à gagner prévu par contrat. Clause pour « aléa sportif », loyer dû : la contribution à rallonge de la ville monte à 3,4 millions d’euros par an. Et Vinci peut résilier à tout moment le contrat de cette « cathédrale vide », en exigeant une compensation financière, dont le montant reste un sujet de polémique. Échec patent d’un stade surdimensionné pour une équipe sans stabilité au haut niveau.
Surcoût dès le départ
A Marseille, la rénovation du stade Vélodrome, passé de 50 000 à 67 000 places, « excède largement les besoins habituels de la ville et même les impératifs de l’Euro 2016 » selon la chambre régionale des comptes qui juge le montage financier trois fois plus cher qu’un emprunt bancaire direct. Et la place créée à Marseille est deux fois plus chère qu’au nouveau stade de Bordeaux.
A Bordeaux, justement, le stade construit en PPP (Partenariat public-privé) par le tandem Vinci-Fayat affronte un recours gênant, engagé devant le tribunal administratif par le PS local, arguant que Juppé a trompé les élus en rabotant de moitié le coût du grand stade, prétendant un coût de 3,5 millions d’euros par an. Si les juges suivent l’argument, la Ville devrait annuler le contrat et reprendre le chantier en régie directe avec emprunt aux banques, ou reforger un contrat plus conforme. Toujours un peu cher pour un équipement qui ne sert, en gros, que 20 à 25 jours par an. Estimé à quelque 300 millions d’euros, l’Arena de Dunkerque a été abandonnée avant les travaux, avec quand même 52,5 millions de dédommagements pour Vinci.
A Lille, le stade confié à Eiffage vante sa pelouse rétractable, son toit ouvrant, et ses 50 000 places même si elles ne sont occupées en moyenne qu’à 69 %, après avoir cassé les tarifs. Les recettes attendues par le nouvel équipement ne décollent pas de celles dans l’ancien stadium Nord. Fuite en avant : pour pallier à ces débuts chaotiques, la ville a multiplié les évènements, matchs de rugby, concerts, qui flinguent la pelouse. Le club doit en financer le remplacement, partiel ou total.
Consortium pour stadium premium
Les stades, c’est ringard. Place aux arenas. C’est plus chic, plus fric, plein de loges VIP et de places premium pour les people et les patrons, et de pièges à consommation pour le populo. Une idée poussée par l’UEFA (Union of European Football Associations) après l’Euro 2012 en Ukraine et ses inquiétudes sur les stades livrés in extremis. Le toit du stade de Kiev a même pris feu le jour du match inaugural… L’UEFA a depuis édicté des exigences sans précédent. Exemples : un éclairage surpuissant pour permettre la retransmission en haute définition ; la mise à disposition de 4 850 places VIP pendant la compète, plus de deux fois la jauge exigée en 2012.
Ces normes et contraintes ont déroulé le tapis rouge aux multinationales de la finance et du BTP. Pour l’Euro 2016, les géants du béton ont déjà gagné, grâce aux PPP qui servent à construire et gérer prisons, collèges, hostos, universités, LGV, tunnels ou ponts à péages. Une formule née sous Reagan, développée par Thatcher à partir de 1992 et reprise par Blair. Prôné par Alain Madelin, l’artisan de sa naturalisation française, le PPP peut sévir dans l’Hexagone dès juin 2004.
C’est de la bombe, à retardement
C’est le vieux principe de la vie à crédit. L’opérateur privé – en France essentiellement Vinci, Bouygues et Eiffage – finance l’investissement, la collectivité réglant un loyer, étalé sur 30 à 50 ans. Une redevance plus exactement, qui rémunère au groupe de BTP choisi les emprunts (et le risque sur les marchés financiers), et se module aussi selon les résultats sportifs et l’affluence. Les supporters boudent ? Pas grave, ils paieront quand même, via leurs impôts. Évidemment, ce trompe-l’œil coûte plus cher à terme, mais il offre l’illusion de pallier au budget d’investissement de la collectivité. Bingo en période de crise. Et les élus qui coupent le ruban de l’inauguration ne seront plus aux manettes quand il faudra rendre compte du désastre financier, en bout du contrat. L’effet de bombe à retardement financière a pourtant été dénoncé par certains élus et économistes, et pas les moins exaltés pour défendre le libéralisme. Même François Hollande s’y est mis, mais c’était en campagne pour les présidentielles…
Dérives financières
En octobre 2013, un rapport du Sénat sur les financements de stades évoque les PPP en criant au casse-cou « tant la différence peut se révéler grande entre les flux financiers envisagés au moment de l’adoption du projet et la réalité, notamment en cas de mauvaise fortune sportive », ajoutant que « le PPP en étalant la charge de la collectivité (loyer) sur une période plus longue, présente une risque réel de surdimensionnement du projet, que renforce la prise en compte d’hypothèses optimistes, à la fois en termes sportifs et de programmation annexe, pouvant faire paraître un équilibre financier ».
En Grande-Bretagne, au Canada, en France de plus en plus, les nuisances des PPP sont largement décriées. L’accumulation d’exemples montre le poids d’études préalables fantaisistes des besoins, l’opacité des procédures, l’asymétrie du prétendu « partenariat », l’explosion des loyers et les dérives hors contrat incontrôlables lors de la phase gestion, les montages juridique et financier toujours verrouillés en faveur du consortium privé, et les risques supportés exclusivement par la collectivité. L’autopsie d’un mirage a déjà commencé.