Ni pur, ni pourri
Insoumis toute sa vie, Antonio échappe à l’enfermement en maison de retraite et à son enfer infantilisant par une tentative de vol, en se défenestrant du troisième. Une fenêtre à franchir pour laisser la dépression derrière soi. L’occasion d’un flash-back de 195 pages sur la vie d’un gosse de paysan des terres de Saragosse. Enrôlé chez les Franquistes, il passe dans le camp d’en face, devient chauffeur de la centurie Francia, une milice confédérale de la Confédération nationale du travail (CNT) formée d’anarchistes espagnols revenus de France. Anar instinctif, il a son talisman : les espadrilles de Buenaventura Durutti, improbables reliques qui lui permettent au moins de se carapater plus vite que les culs de plomb. Au front, le voilà facteur avec une bagnole affublée d’ailes, livreur de petit bonheurs et d’amours épistolaires, puis ambulancier, porteurs de dernier espoirs et des ultimes soupirs des calanchés. Ni un exemple, ni un modèle, juste un type libre, mené par ses espoirs, ses désirs et ses convictions. Comme le refus de la guerre pour se concentrer sur la révolution à faire, en train de se faire. Les staliniens y ont mis bon ordre, en tous cas leur ordre, comme on sait. Passage en France. Les solidarités se maintiennent, même dans le camps des vaincus. On peut avoir perdu sans perdre ses illusions. Retirada, camp de concentration français, humiliations, cavales, engagement dans la Résistance, survie, expédients. Il passe par le marché noir, la contrebande, croise ceux qui hésitent entre résignation et renoncement. Un type emporté par les bourrasques de l’Histoire qui se trimballe avec sa majuscule en écrasant les destins d’hommes ni purs ni pourris. En Espagne, où il a cartonné, le bouquin a été perçu comme la chronique lucide d’une génération, assumée comme héritage par celle qui a suivi. Quelques envolées surréalistes distillent le rêve et le cauchemar dans ce récit-hommage fait par son fils. Le dessin hésite entre réalisme et grotesque. Un bouquin un peu cher (23,50 euros), mais, avec un tel titre, il doit bien pouvoir éviter de passer à la caisse.
Antonio Altarriba et Kim, L’Art de voler, Denoël Graphic, 2011.
Cet article a été publié dans
CQFD n°92 (septembre 2011)
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Paru dans CQFD n°92 (septembre 2011)
Dans la rubrique Culture
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Mis en ligne le 21.10.2011
Dans CQFD n°92 (septembre 2011)
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