Santé publique

Ne tirez plus sur l’hôpital

Saint-Étienne-du-Rouvray, son église, son curé assassiné… mais aussi son hôpital psy en lutte. Depuis la fin de l’été, le personnel soignant s’est mis en grève contre la réforme managériale imposée par la loi Touraine et appliquée par la direction. Reportage.
Par Emilie Seto

Derrière de hauts murs de silex et de briques qui s’étendent sur plusieurs kilomètres et encerclent le plus grand parc arboré de Seine-Maritime se trouve le Centre hospitalier psychiatrique du Rouvray. Plus de 2 000 personnes y bossent, dont 1 300 des services de soins et 160 médecins. Concernant les « soignés », c’est plus difficile à comptabiliser, outre ceux et celles qui sont en traitement pour dépression, drogue ou autres, le centre du Rouvray a, dès les années 1970, été un établissement pilote au niveau de la sectorisation. Ce qui fait qu’il y a un gros contingent de malades en ambulatoire (qui sortent de l’hôpital chaque soir) ou qui fréquentent les hôpitaux de jour disséminés dans la région.

Sur les grilles de l’entrée, des banderoles appellent au retrait de la loi santé ou loi Touraine, disent non aux « effectifs cible » ou, tout simplement annoncent que le personnel est en grève. Une situation qui n’est pas rare dans cet établissement où le personnel est assez combatif. Lors du printemps dernier, une grande banderole exigeait également le retrait de la loi El Khomry.

En entrant dans l’établissement, je longe un chemin balisé par de nouvelles banderoles appelant aux AG quotidiennes à 15 heures ou disant « Si nous sommes les cibles, nous ne nous laisserons pas faire ». J’atteins un tas de palettes et un grand barnum où se trouve le piquet de grève. Une dizaine de personnes discutent, offrent le café. Sur les murs les dernières infos sur le mouvement ainsi que le planning des volontaires pour tenir le piquet de grève. Des habitants du quartier et des militants mais également des patients font un passage, s’informent ou tout simplement viennent apporter leur soutien.

« Le mouvement de grève a commencé le 30 août, me dit Romuald. C’est à l’initiative du personnel soignant non syndiqué. Rapidement la CGT s’est jointe au mouvement et la CFTC vient de le faire également. » Ce n’est même pas la peine de le préciser mais, le 3e syndicat de la boîte, la CFDT, approuve la réforme. « Cette grève fait suite aux annonces de la direction sur sa volonté de réduire de façon drastique les effectifs, ajoute René. Alors que nous, ce que nous demandons, c’est qu’ils prennent en compte notre souffrance et que, pour le moins, les départs en retraite soient remplacés. »

Ce qui se passe au centre du Rouvray correspond juste à l’application de la loi Santé qui prévoit, dans les années à venir, la suppression de 60 à 70 000 postes dans les hôpitaux. Pour quiconque a dû côtoyer les hôpitaux ces dernières années, on sent partout le manque de personnel et le stress des soignants et soignantes. Gérer l’hôpital comme une entreprise reste, hélas , le mantra répété par les managers, lesquels « comptabilisent et prennent en charge des lits et non plus des êtres en souffrance », poursuit René. Jusqu’à présent plutôt épargné, le personnel soignant du Rouvray se retrouve soumis, depuis cet été et le rattachement du centre au CHU de Rouen, à la Gestion hospitalière territoriale chargée de réorganiser les effectifs en fonction des besoins.

Concrètement, pour l’hôpital psychiatrique, la direction veut fixer un effectif minimum dans chaque service avec un pool, une équipe polyvalente, qui pourra intervenir n’importe où (et évidemment sans embauche). À croire qu’on soigne de la même façon en pédiatrie, en gériatrie, en addictologie ou auprès des malades dangereux. « Et depuis quand réduire le nombre de soignants dans une équipe est mieux pour le patient et mieux pour l’équipe ou pour la qualité de soins ? », demande François. « Il s’agit d’une organisation essentiellement comptable, reprend René, qui va à l’encontre de toute approche humaniste et respectueuse des patients. »

Dans le calcul de la direction, les chambres d’isolement, les renforts, les rendez-vous, les accompagnements ne sont aucunement pris en compte. Cela aura des répercussions sur le temps accordé aux patients hospitalisés ainsi que sur la réflexion par rapport aux soins à apporter. Cerise sur le gâteau, la directrice a également annoncé que, pour faciliter et rendre plus efficace les interventions du pool, un logiciel sera installé pour gérer l’ensemble du personnel en tranchant là où il manque du monde et là où il y en a trop. « Jusqu’à présent, me dit Carole, c’était nous qui gérions nos repos et nos vacances dans les équipes, entre nous, après discussion. Maintenant ça va être un logiciel ! On est de plus en plus loin de l’humain. » Et une autre jeune femme de m’interpeller : « Comme si s’occuper des patients, c’était juste leur donner des médicaments et faire des piqûres… »

Le personnel soignant est en colère partout en France. Il doit payer le prix fort de la restructuration libérale. Ces derniers mois, il y a eu 5 suicides dans les hôpitaux. Le 14 septembre, un mouvement touchait l’ensemble des hôpitaux. Le 15, infirmiers et infirmières du Rouvray étaient massivement en grève et en tête de manif rouennaise. À l’heure où cet article est écrit, le mouvement continue, la grève vient d’être à nouveau votée pour les huit prochains jours, les syndicats font intervenir le comité hygiène, sécurité et des conditions de travail et d’autres actions sont menées. Une nouvelle banderole a été plantée sur la pelouse : « Grève totale ».

Jean-Pierre Levaray

Coup de gueule d’un soignant

« Ce management exalté et froid, ces praticiens occupés à faire passer et imposer leurs nouvelles réformes, réduire les coûts, faire des économies, mutualiser les moyens, tracent un trait sur les spécificités de notre métier, sur l’humain, sur l’humanité.

Cette humanité qui nous a fait choisir de nous occuper de patients atteint par ce type de troubles. L’essence même de notre investissement.

Dites-vous bien que cette dimension humaine est désormais bannie…

Ce souci de rationalisation se traduit par une destruction lente et progressive des soins en psychiatrie. Ce lien si durement acquis avec le malade n’est plus essentiel. Cette dimension humaine se dissout au profit d’un “objet” à traiter, de cibles de soins et de troubles à corriger. Nous ne parlons plus de souffrance psychique et humaine qu’il s’agit de comprendre et d’apaiser, mais de troubles. Trouble à l’ordre public qui devient l’ennemi à réprimer. Le délire n’est plus un langage à entendre et décrypter mais un symptôme à supprimer.

On nous inonde de protocoles, de normes, de contrôles, d’accréditations. Une traque à la dimension humaine du soin est lancée. Il ne faut surtout plus s’impliquer ou prendre des initiatives. Il faut lisser les attitudes et les soins, supprimer les temps d’échanges, supprimer toute subjectivité, ne plus discuter d’alternatives.

La norme fait acte de loi. Bosser en obstétrique sera bientôt la même chose que de travailler en psychiatrie. Seule la technicité sera différente. Le somatique se prend en charge de la même manière que le psychiatrique. On nous demande de traiter une psychose comme on traiterait un cancer. La normalisation est là pour parachever ce travail de destruction de notre métier. […]

Ne laissons pas faire. Car ce combat s’adresse à toutes et tous. Car, outre le fait de cette perte d’identité de ce métier que nous aimons, outre le fait que nous ne travaillerons bientôt qu’en effectif minimum, peu importe la charge de travail, outre le fait que nos temps de repos, de vacances nous seront imposés, accepter cela c’est renoncer à ce qui fait de nous des soignants, renoncer à ce qui fait de nous des êtres humains. »

Extrait d’un tract distribué dans la région rouennaise.
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1 commentaire
  • 15 mars 2019, 18:33, par Jean-Louis Rispoli

    Bonjour, J’ai bénéficié d’une prise en charge en hôpital de jour START de janvier à aout 2017. Suite à l’article que je viens de lire, à partir de « Basta ! », il me paraît nécessaire de vous décrire mon ressenti de cette expérience. Du chef de service en prélude, jusqu’au final, toutes les personnes que j’ai pu rencontrer ont été très professionnelles, aimables, attentives, malheureusement très enfermées dans le protocole.

    Depuis ma sortie, je n’ai reçu aucun rapport de mon hospitalisation, ni le chirurgien qui a obtenu le premier contact, ni mon généraliste, ni le psychiatre qui me suit à l’hôpital de Dieppe...Si ce rapport d’hospitalisation n’est pas indispensable pour l’incompétent en psychiatrie que je suis, je suis bien sûr qu’il est indispensable pour le corps médical qui me suit.

    Donc mon ressenti est : un travail efficace mais non abouti, puisque il n’y a pas de conclusion. ... Eh... pourquoi pas de conclusion ?

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