Projet de raffinerie dans l’Aude

Mets pas de l’huile !

Parce que leur embarcadère est convoité par un géant de l’huile de palme, des habitants de Port-la-Nouvelle montent au front. Porté par un argumentaire bien huilé et rétif aux graisseurs de patte, le comité No Palme tente d’alerter son monde…

Port-la-Nouvelle, petit bourg situé à une vingtaine de kilomètres de Narbonne (Aude). Les membres du comité No Palme prennent place dehors, à la fraîche, à deux pas de la gare. À quelques centaines de mètres, la cheminée de la cimenterie Lafarge étire sa hampe grisâtre. Alain : « On sait très peu de choses du projet. C’est dans la presse régionale, au printemps dernier, que l’on en a appris les grandes lignes. » Que voici : la multinationale malaisienne Sime Darby, leader mondial dans le secteur de l’huile de palme, a jeté son dévolu sur Port-la-Nouvelle pour y implanter sa seconde usine de transformation en Europe (la première étant près de Rotterdam). La raison : Sime Darby vient d’acquérir plus de 200 000 hectares de terres au Libéria et a besoin d’un site de raffinage en Europe du Sud. L’huile de palme a le vent en poupe, non seulement sur le marché alimentaire, mais aussi dans le secteur énergétique puisque l’Union européenne a fixé à 10 % la part des agrocarburants à atteindre en 2020.

Hosanna ! se sont écriés la région Languedoc-Roussillon – propriétaire du port – et les élus locaux. Et tous de pousser à la roue de ce faramineux projet. De l’industrie ! Des créations d’emplois ! Mais si l’affaire fait l’unanimité chez les édiles, la plèbe ne s’en laisse pas conter : refusant ce projet de tartuffe, elle a créé le comité No Palme – pour Nouvelles orientations pour des alternatives locales et méditerranéennes. Alain, toujours : « Sime Darby ne vient qu’à condition que l’on procède à une extension du port. Le coût des travaux est de deux cent millions d’euros. Cet argent n’aurait-il pas pu être mis ailleurs ? Dans la réimplantation de maraîchers, dans la pêche artisanale, la conchyliculture, le développement de circuits courts ?… » De surcroît, cette expansion empièterait sur une zone côtière riche en biodiversité. Sans parler de la hausse du trafic autoroutier, puisque le fonctionnement de l’usine implique le passage quotidien de trois cent quarante camions. Mais ces préoccupations sont sûrement très éloignées de celles des dirigeants de Sime Darby, à la lumière de leurs faits d’armes. En Indonésie et en Malaisie, cette firme a participé activement aux campagnes de déforestation sauvage afin de replanter des palmiers à huile. Un exemple parmi d’autres : sur l’île de Sumatra, l’équivalent de « 400 terrains de football » est rasé quotidiennement1.

« Pour rassurer Sime Darby, poursuit Alain, Bernard Ballester, le président de la chambre de commerce et d’industrie, a déclaré qu’à Port-la-Nouvelle, “il n’y a pas de docker”. Ce qui veut dire : ici, vous serez tranquilles. Pourquoi Sime Darby n’a-t-elle pas choisi Marseille ? Parce qu’ici les types bossent quarante heures par semaine, dans une vraie précarité. Et comme il n’y a pas de syndicat, il n’y a aucun risque de contestation. » Et quand bien même il y en aurait… À l’origine, la prud’homie de pêche2 était membre du comité, mais un élu aurait fait pression sur les pêcheurs pour qu’ils la mettent en sourdine, promettant que les emplois créés – une vingtaine selon les dernières estimations – leur seraient réservés. Ce qui fait dire à Paul, autre membre de No Palme : « Les pêcheurs qui ont accepté les cacahuètes de la mairie vont devenir les larbins de Sime Darby. »

Une raison bien plus explosive pousse à s’opposer à ce projet. Port-la-Nouvelle abrite en son sein quatre dépôts classés Seveso « seuil haut » (gaz liquéfié, pétrole et alcool). Le port dépote chaque mois 1 500 tonnes de nitrate d’ammonium en provenance de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) et à destination du Maghreb. Albert, autre opposant, a potassé sa chimie : « Le nitrate d’ammonium est utilisé comme engrais. Mais c’est aussi un explosif. Si tu le mélanges avec un corps gras, de l’huile végétale par exemple, tu décuples ses capacités détonantes. Il n’est pas difficile d’imaginer la puissance qu’aurait une explosion alimentée par le stockage de milliers de tonnes d’oléagineux. Port-la-Nouvelle serait rayée de la carte. » En octobre 2009, un silo de l’usine Lafarge a pris feu, mais le grand boum a été évité de peu. En juillet 2010, un camion transportant du GPL s’est enflammé à son tour, a incendié plusieurs entrepôts et camions, et treize personnes ont été blessées. Puis, en mai 2011, un écrou mal scellé a provoqué la fuite de 3 500 tonnes de ciment d’un silo. Alain conclut : « À Port-la-Nouvelle, deux trains acheminent chacun sept cent cinquante tonnes de nitrate d’ammonium par mois. Quatre cents ont suffi pour provoquer la catastrophe d’AZF. »


1 Le Monde diplomatique, décembre 2009.

2 Les prud’homies de pêche sont des organisations ayant compétence réglementaire et juridictionnelle en matière de pêche côtière.

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2 commentaires
  • 7 décembre 2011, 16:05, par Alcara Li Fusi

    Edifiant Sébastien Navarro ! Avec quelques efforts d’imagination et beaucoup de bon sens on voit sans peine sous la table de M.Ballester quelques raisons sentimentales d’aimer ce projet....

  • 9 décembre 2011, 11:13, par Maurice jean-pierre

    mais comme il faut , par tous les moyens ,sauver "l’emploi" ce projet risque de voir le jour ! comme quoi " la planification écologique" défendue par le Front de Gauche est porteuse de sens ! dans ce cas donner du travail aux uns signifie détruire un écosystème à l’autre bout de la planète et des ressources vivrières pour des milliers ( ou plus ! ) de gens ! Le fric toujours le fric !!!

Paru dans CQFD n°93 (octobre 2011)
Par Sébastien Navarro
Illustré par Nono Kadaver

Mis en ligne le 07.12.2011