Pied-noir

Mauvaise mémoire

Le 19 mars 2012, l’Algérie fêtera le cinquantenaire de son indépendance. Une pilule que n’a toujours pas digérée une partie de la communauté pied-noire. À Perpignan, un musée revisite cent trente ans d’Algérie française selon le prisme colonial. Visite guidée.

Un petit groupe a fait le trajet depuis Béziers et s’arrête devant un tableau, une scène de torture ou d’exécution sommaire, orné d’une mise en garde : « Vous serez tous liquidés, c’est la terreur, le FLN a lancé son mot d’ordre de guerre totale et sans merci. » L’un dit : « Je crois que le peintre s’appelle Nicole Guiraud, c’est une franco-algérienne. » L’autre ajoute : « Elle a perdu un bras. C’était au Milk-Bar d’Alger en 1956. » « Évidemment, tout ça est marqué dans sa chair », conclut un dernier en désignant l’ensemble des tableaux. L’accent est pied-noir. Normal, ce lieu leur est dédié. Bienvenue au Centre de documentation des Français d’Algérie de Perpignan, inauguré en grande pompe le 29 janvier 2012 par le maire UMP de la ville, Jean-Marc Pujol (lui-même rapatrié), et le ministre de la Défense, Gérard Longuet, bien connu pour ses flirts de jeunesse avec l’extrême droite radicale. Une inauguration où l’émissaire élyséen a eu du mal avec un public toujours aussi allergique à la moindre référence gaullienne. Heureusement, il a su coller au texte de ses antisèches sarkozystes : « Je vous affirme que cette année 2012, cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie, sera l’année du souvenir et du recueillement, et sûrement pas celle de la repentance. » Cent trente ans de colonisation ? « Une formidable aventure. » Les colons français ? « Des hommes et des femmes » qui auront « œuvré à la grandeur de la France ». Voilà pour la grille de lecture.

Hasards du calendrier : la fille Le Pen tenait meeting à Perpignan ce même jour et le Cercle algérianiste y clôturait son congrès national devant pas moins de deux mille fidèles. À ceux qui s’étonneraient d’une telle ferveur patriotique dans la préfecture des Pyrénées-Orientales, il convient de rappeler que sur les trente mille pieds-noirs qui débarquèrent en 1962 dans le département, une bonne moitié se fixèrent à Perpignan. « Dès leur arrivée, les rapatriés d’Algérie se sont regroupés dans des associations à caractère revendicatif concernant notamment l’indemnisation des biens perdus, le reclassement professionnel et le logement. Ces associations ont également joué un rôle politique afin d’essayer de se comporter en “lobby” », explique Philippe Bouba, auteur d’un bouquin sur la question1. Depuis, le vote pied-noir,

par Aurel

majoritairement ancré à droite, n’a eu de cesse de se faire courtiser par les divers bords politiques de la cité catalane. Pas étonnant donc que le département regorge de stigmates de la présence française outre-Méditerranée : la stèle Sidi Ferruch2 à Port-Vendres, le rond-point Marcel Bigeard à Banyuls, la stèle OAS3, le Mur des disparus4 à Perpignan… Dans la commune du Barcarès se tient annuellement un Salon du savoir-faire pied-noir. Seule invitée politique de l’édition 2011, la Le Pen y déclara son intention de bannir la date du 19 mars 1962 de l’histoire française. En guise de récompense, les organisateurs lui remirent un « Pied-noir » d’or avant d’enfoncer le clou : « Nous sommes rentrés un million, nous sommes aujourd’hui trois millions de votants. »

« On ne peut pas dire que tous les pieds-noirs se retrouvent au sein des idées du Front national même s’il est vrai que pas mal de leaders de l’Algérie française ont été ou sont au FN », précise Philippe. Jacky Malléa est responsable régional de l’Association nationale des pieds-noirs progressistes : « Nous sommes opposés aux pieds-noirs purs et durs, revanchards et racistes. On n’est pas contre un centre de documentation, à condition qu’il soit piloté par des historiens et des scientifiques, ce qui était prévu par la municipalité précédente. On ne peut pas écrire l’histoire de la présence française en Algérie uniquement avec des documents de source pied-noire. Il faut expliquer comment la France est arrivée là-bas, comment elle a spolié les terres des Arabes et pressuré les populations locales. » Un objectif qui semble à des années-lumière du Cercle algérianiste, association de rapatriés à laquelle a été confié le pilotage du centre. Et accessoirement un budget de 1,8 million d’euros. Précisons que Thierry Rolando, président national du Cercle algérianiste, est un chaud partisan de l’enseignement du « rôle positif » de la colonisation française… « Il ne faut pas oublier que ce centre sera ouvert aux écoles : quelle vision du colonialisme français vont avoir les enfants ? » s’interroge Jacky. La réponse est peut-être au premier étage du musée où, au milieu des reliques militaires françaises, un panneau pédagogique annonce la couleur : « Coloniser, c’est peupler et mettre en valeur. »


1 Philippe Bouba, L’Arrivée des pieds-noirs en Roussillon en 1962, éditions Trabucaire, 2009.

2 En 1830, la presqu’île de Sidi-Ferruch vit débarquer l’armée française en route pour la conquête de l’Algérie.

3 Organisation armée secrète, structure politico-militaire clandestine militant pour l’Algérie française de 1961 à 1965.

4 Mémorial contenant une liste de 2 619 disparus au nom de l’Algérie française entre 1954 et 1963 dont 400 militaires du contingent.

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Paru dans CQFD n°97 (février 2012)
Par Sébastien Navarro
Illustré par Aurel

Mis en ligne le 26.03.2012