Les lunettes sur les cheveux

Là, au sommet du corps, les lunettes, cet instrument optique destiné à apaiser la vue des effets de l’astre solaire, enserrent les cheveux, ces filaments organiques synthétisés par l’épiderme du crâne. Ces premières sont-elles dans l’attente d’une redescente imminente vers les globes oculaires ? Ou bien, est-ce l’intermittence de l’ombre et de la lumière qui exige de les positionner ainsi à portée de main, afin d’être assuré de ne pas les égarer ? Vont-ils monter ou descendre, ces verres fumés ? Entre la gêne créée par la lumière et l’embarras occasionné par les mèches rebelles, lequel de ces troubles traiter en priorité ? Un choix s’impose au détriment de l’anonymat qu’offre la dissimulation des yeux. Les lunettes devenues serre-tête dévoilent le visage et remplacent alors le secret planqué derrière les verres fumés par une expression de fermeté que rien ne semble pouvoir arrêter, pas même un coup de vent impromptu. L’énigme s’efface au profit de l’affirmation. Et les voilà toutes reines – toutes, parce que rares sont, dans cette époque, les hommes portant cheveux longs, sinon rassemblés en catogan. Toutes reines, avec leur diadème, signe extérieur de leur appartenance à la famille de ceux qui décident et qui ont autorité sur le monde. Évocation de la couronne de laurier, récompensant la victoire et symbolisant l’éternité ? Ou plutôt de celle d’aubépine qui, selon la légende, protégerait de la foudre ? À moins qu’il ne s’agisse, en occupant la place, de prévenir l’arrivée inopinée du cercle christique composé d’épineux ?

Pourtant, Erica Quinn, coiffeuse-styliste, et experte dans ce domaine, est catégorique : « Même si les lunettes de soleil ont belle apparence et sont à la mode, elles peuvent causer des dommages aux cheveux. Avec la tendance à relever les lunettes comme un bandeau serre-tête, les branches et les charnières peuvent casser les cheveux et causer des cheveux fous. » Les travaux d’une grande firme internationale qui, en 2001, a mis au point des branches de lunettes moins courbées à leur extrémité afin de réduire la pression sur le crâne, ne sont pas concluants. La récente tentative d’une société anglaise de proposer des lunettes confectionnées en cheveux humains, au nom de leur biodégrabilité et de leur compatibilité organique, n’a pas encore fait ses preuves. Une styliste a plutôt choisi de développer un axe pédagogique en proposant dès le plus jeune âge des serre-têtes en forme de lunettes factices.

Une question demeure entière. Les lunettes posées sur le crâne augmentent-t-elles l’acuité visuelle en présentant ainsi quatre yeux ? Ou s’agit-il de se protéger du monde en égarant les regards ? Peut-être la réponse réside-t-elle, à l’instar de la gent masculine au crâne rasé qui bloque l’instrument optique sur l’occiput, dans la pratique des habitants du Sundarbans (Inde et Bangladesh), zone de mangroves et de forêts située à l’embouchure du Brahmapoutre. Ici, face aux attaques de tigres qui provoquent chaque année une cinquantaine de victimes, la population porte un masque à visage humain à l’arrière de la tête afin de faire fuir les prédateurs. C’est vrai qu’ils sont nombreux. Et qu’il faut bien vivre…

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1 commentaire
  • 24 septembre 2019, 13:43, par AppAs

    Cette pratique, 8 ans après la rédaction de cet article puissamment lucide, perdure. C’est à désespérer de l’âme humaine. Bien à vous. AppAs

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Paru dans CQFD n°91 (juillet-août 2011)
Dans la rubrique Faux amis

Par L’équipe de CQFD
Mis en ligne le 13.09.2011