Aïe tech # 7

Les chiens-robots sont nos amis (il faut les aimer aussi)

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Septième épisode dédié aux chiens-robots du géant de la robotique Boston Dynamics, toutous dystopiques flippants qui se rachètent une image à coups de défilés de mode et de chorégraphies pop.
par Rémi

Le 3 mars dernier, mazette, c’était la folie à la fashion week de Paris, au palais de Chaillot. Les créateurs de la marque Coperni ont en effet frappé un grand coup : pour épauler les mannequins dans leur défilé, ils se sont payé les services de créatures quadrupèdes jaunes aux pattes noires. Plus précisément : des chiens-robots de modèle Spot, fleurons de l’entreprise ricaine Boston Dynamics. Dansant en rythme et défilant comme des pros, ils ont, paraît-il, charmé les spectateurs par leur prestance. Clou du spectacle, cette scène où l’un d’eux a délicatement retiré son manteau à la mannequin Rianne Van Rompaey avant de le lui restituer poliment. Si c’est pas mimi…

Entreprise phare de l’innovation en matière de robotique, Boston Dynamics, créée en 1992, a longtemps galéré en termes d’image. Si ses vidéos sont vite devenues virales, elles ne déchaînaient pas vraiment la sympathie jusqu’à des temps récents. Prenez Big Dog, l’ancêtre de Spot, développé en 2005 pour l’armée américaine : chien géant aux mouvements saccadés et au bourdonnement envahissant, il inspirait surtout la crainte. Les vidéos montrant ses améliorations en matière de franchissement d’obstacle ou de course sur la glace suscitaient des flopées de commentaires horrifiés, du genre « Imaginez une armée de ça ! »1

Une crainte logique, surtout si l’on sait que Boston Dynamics a longtemps été financée par le département américain de la Défense. Au fil du temps, cependant, l’entreprise a pris un virage « pacifiste », notamment depuis que le constructeur automobile sud-coréen Hyundai Motors s’en est emparée fin 2020. À ce moment-là, elle s’est même publiquement engagée à ne pas armer ses robots : « Des personnes indignes de confiance pourraient les utiliser pour porter atteinte aux droits civils ou pour menacer, blesser ou intimider d’autres personnes », expliquait le communiqué. Le Nobel de la paix n’est pas loin.

Ne pas se leurrer, pourtant : si Boston Dynamics prétend avoir rompu avec l’aspect militaire, c’est par pur marketing. En rendant Spot et ses congénères « sympathiques », en multipliant les vidéos où leurs différents prototypes de robots secouent leurs popotins dans un hangar sur de vieux standards de type « Do You Love Me ? » ou « Start Me Up », la marque a propulsé la figure du chien-robot dans une autre dimension. Cela passe aussi par un nouveau design des droïdes bipèdes et quadrupèdes, plus pop, qui fait penser à l’esthétique épurée d’Apple. C’est ainsi qu’ils deviennent acceptables. Vous refusiez l’idée de chiens-robots largués dans les rues en suppléants de la police ? Ah mais attendez, ils sont super swag, c’est pas pareil…

Pendant ce temps, Spot est en phase de test auprès de diverses forces armées ou de police. « L’armée française teste les robots de Boston Dynamics en mode combat », titrait ainsi le site spécialisé Clubic en avril 2021. L’entreprise rétorqua qu’elle n’arme pas directement ses robots et qu’ils sont utilisés pour des opérations de déminage ou d’exploration. Peut-être. Mais des concurrents sont sur les rangs, à l’image de Ghost Robotics, qui a récemment développé Spur, un cousin de Spot armé d’un fusil de précision semi-automatique, déjà sur vos écrans. Autre merveille présentée lors de la foire russe aux armements Army 2022 : un canidé robotique muni d’un lance-roquettes, chien-robot de fabrication chinoise modifié par une start-up locale. Des machines moins élaborées (pour l’instant) que Spot, mais qui prouvent bien que la position de Boston Dynamics est d’une hypocrisie folle. En faisant progresser à pas de géants les performances des robots et leur autonomie, elle prépare l’inéluctable récupération de son savoir-faire pour des motifs guerriers. Et s’en foutra plein les fouilles au passage.

En attendant, les robots de Boston Dynamics dansent sur du Bruno Mars et font des sauts périlleux, suscitant une avalanche de louanges extasiées sur les réseaux sociaux. Le message est passé : les robots c’est cool. Et si demain des chiens-robots autonomes patrouillent dans les rues de votre ville avec taser et LBD intégrés, ne vous inquiétez pas : ils twerkent super bien.

Émilien Bernard

1 Un imaginaire dystopique qu’a exploité feue la série Black Mirror, avec l’épisode « Metalhead » (2017). Y était mis en scène un monde post-apocalyptique où des médors d’acier autonomes traquent les derniers survivants humains. Pas mimi.

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CQFD n°219 (avril 2023)

Depuis le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites, la France est en ébullition : blocages, grèves, manifs monstres et poubelles en feu ! Impossible de ne pas consacrer une très large part de notre numéro d’avril à cette révolte printanière. De Marseille à Dieppe, de Saint-Martin-de-Crau à Sainte-Soline, de la jeunesse en mouvement à la répression en roue libre, des travailleuses du sexe en lutte à l’histoire du sabotage... Reportages, analyses, entretiens. De quoi alimenter, on l’espère, la suite des mobilisations !
On vous emmène tout de même un peu hors de nos frontières (ou presque) : En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, où la France poursuit sa démolition du processus de décolonisation, en Turquie où la solidarité populaire a pallié aux manques de l’État après les séismes début février et en Tunisie dans un musée particulier.

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Paru dans CQFD n°219 (avril 2023)
Dans la rubrique Aïe Tech

Par Émilien Bernard
Illustré par Rémi

Mis en ligne le 23.05.2023