Flingue, conscience et collectif (éd. premiers matins de novembre, janvier 2024), recueil des textes de prison d’Ulrike Meinhof présentés et commentés par ses camarades de lutte, est un livre âpre, sans joie. On est loin de Rosa Luxembourg qui, de son dernier cachot, encensait les chants d’oiseaux. Il faut dire que l’ex-journaliste entrée dans la clandestinité en 1970 après avoir participé à l’évasion d’Andreas Baader a notamment enduré huit mois d’isolement social et acoustique dans une « aile morte » de la prison de Cologne. Une torture blanche, jour après jour, qui ne vient pas à bout de sa détermination. Alors que le monstre étatique s’emploie à éteindre toute forme de vie et d’insoumission en elle, Ulrike Meinhof continue à penser la révolution, consacrant de longues pages aux fourberies de la social-démocratie, à la lutte contre le fascisme ou aux enseignements du léninisme, tout en enjoignant ses camarades emprisonnés à ne rien lâcher. Aux antipodes de la fade romantisation opérée par des films comme La Bande à Baader (2008), les lettres rassemblées dans le recueil dessinent un envers du décor glaçant. « Le sentiment qu’on a été écorchée », écrit Ulrike Meinhof pour parler de la « déprivation sensorielle » endurée. Ne reste alors qu’une seule béquille, les camarades : « Nous sommes désarmés. Mais ce qu’ils ne pourront jamais nous prendre, tant que nous le défendons bec et ongles, c’est notre conscience et le collectif. » D’où les multiples grèves de la faim organisées par les emprisonnés, dont plusieurs auront une issue funeste. Quant à celle qui était considérée comme la « voix de la RAF », elle sera retrouvée morte dans sa cellule le 9 mai 1976. « Nous pensons qu’Ulrike a été exécutée […] une exécution froidement conçue », écrira son camarade de lutte Jan Raspe. Un an plus tard, le 7 avril 1977, le commando Ulrike Meinhof exécute le procureur général Siegfried Buback, considéré comme responsable de sa mort et de celle de deux autres membres de la RAF. Un champ de ruines.
[/Par Émilien Bernard/]