Vente d’armes : Eurolinks, usine de la mort
« Sur la chaîne du génocide, il n’y a pas de petits maillons »
Sur le trajet qui mène devant l’usine Eurolinks, des tags fleurissent « Eurolinks = morts » ou « Sur la chaîne du génocide, il n’y a pas de petits maillons » alors que les manifestant·es scandent : « Eurolinks assassine les enfants de Palestine ! ». À l’appel d’une trentaine d’organisations1, 400 manifestant·es se sont déplacé·es ce 1er avril vers le « technopôle » du quartier Château-Gombert, dans le 13e arrondissement de Marseille, pour manifester contre l’usine Eurolinks, spécialisée dans la fabrication de maillons pour les munitions militaires. Quelques jours auparavant, à la fin du mois de mars, une information révélée par Marsactu et Disclose a défrayé la chronique : Eurolinks a envoyé en Israël, en octobre 2023, 100 000 maillons et le doute persiste sur leur utilisation dans les combats en cours à Gaza2. L’occasion pour les militant·es de dénoncer le soutien militaire de la France à Israël et de réfléchir à de nouvelles stratégies pour stopper la guerre en cours.
Devant l’usine, un barrage de flics bloque l’entrée. C’est ici que les manifestant·es s’arrêtent et que démarrent les prises de paroles : « Alors que cela fait six mois que la guerre a débuté, nous nous retrouvons devant Eurolinks qui fait son business sur la guerre à Gaza.
« La simple suspicion d’un usage des maillons Eurolinks par Israël devrait suffire à exiger l’arrêt immédiat des livraisons »
La simple suspicion d’un usage des maillons Eurolinks par Israël devrait suffire à exiger l’arrêt immédiat des livraisons. Nous exigeons que plus aucun colis ne soit envoyé ! » explique une militante. Et pour cause. Dans les révélations de mars dernier, on apprend que dix caisses de maillons contenant au total 100 000 maillons « M27 » qui permettent de lier des balles de calibre 5,56 mm – notamment utilisées par des mitrailleuses israéliennes – ont été envoyées en direction de la société IMI Systems, entreprise d’armement israélienne basée dans le nord de Tel-Aviv.
Après la publication de l’enquête, le ministre des Armées Sébatien Lecornu a assuré que le matériel livré à IMI Systems « ne concerne que de la réexportation » et que la licence3 « ne donne pas droit à l’armée israélienne d’utiliser ces composants », sans pour autant fournir de preuves matérielles à ses déclarations. Alors qu’IMI Systems se présente comme « le fournisseur exclusif des forces de défense » d’Israël, le PDG d’Eurolinks a joué cartes sur table, déclarant à Marsactu que « même si la licence précise que ça ne doit pas être utilisé par les forces armées du pays, personne ne peut le garantir […] Je n’ai évidemment pas d’agent pour surveiller ce que fait IMI Systems. »
Ce que confirme Aymeric Elluin, responsable du plaidoyer armes à Amnesty International France dans l’émission 28 Minutes : « La France a fait le choix de contrôler l’armement en amont mais pas en aval. [Difficile dès lors] de contrôler sur le terrain la destination de ces armes. »
Au-delà du cas Eurolinks, les militant·es critiquent aussi les livraisons d’armes de la France en direction de l’État hébreu. Le ministre des Armées l’a affirmé en janvier dernier ; du matériel a bien été livré à Israël, mais uniquement « afin de lui permettre d’assurer sa défense 4 ». « C’est illusoire de penser que les armes livrées à Israël servent à sa défense, alors que depuis 75 ans Israël massacre les Palestiniens. Comment peut-on parler d’armes défensives pour une armée coloniale ? » s’insurge une militante au micro. Elle poursuit : « Alors que la Cour internationale de justice a reconnu qu’il existait un risque de génocide à Gaza, et que les Pays-Bas, la Belgique ou le Canada ont cessé leurs exportations, la France continue de livrer des armes à Israël. » Un choix qui pourrait également aller à l’encontre du Traité sur le commerce des armes (TCA) de l’ONU dont la France est signataire depuis 2013, et qui interdit la livraison d’armes à un pays susceptible de commettre un génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre.
La collaboration militaire entre la France et Israël n’est pas nouvelle, comme l’explique au micro Pierre Stambul, militant à l’Union juive française pour la paix (UJFP) : « Dès les années 1950, la France fournissait des armes à Israël et elle a continué à le faire dans toutes les guerres qu’Israël a menées, y compris aujourd’hui ! » Dans le rapport annuel sur les exportations d’armes présenté par le ministère des Armées en juillet 2023, en dix ans, la France a vendu pour 208 millions d’euros de matériel militaire à Israël, dont 25,6 millions seulement pour 2022.
L’usine de maillons est un point stratégique sur lequel les militant·es souhaitent faire pression.
« On pourrait intensifier cette pression contre d’autres usines françaises qui arment Israël, comme Thalès ou Dassault »
« Il suffit que les livraisons s’arrêtent trois jours pour qu’Israël soit à sec ! » s’exclame Robert, militant propalestinien. « On pourrait intensifier cette pression contre d’autres usines françaises qui arment Israël, comme Thalès ou Dassault », explique une représentante du collectif Technopolice. Pour un membre du mouvement BDS5, il s’agit surtout de multiplier les stratégies de lutte : « On pourrait se rendre dans les salons d’armement pour faire des manifs ! Il faut aussi multiplier les recours avec l’aide des avocats, interpeller les parlementaires et les conseils municipaux qui laissent ces entreprises s’implanter ! »
De nombreuses manifestations et actions de blocage devant des sites d’armements ont eu lieu à travers le monde depuis novembre dernier. Une usine d’armement Elbit System a même été contrainte de vendre ses locaux dans la ville de Tamworth au Royaume-Uni à la fin du mois de mars après des actions répétées d’activistes anglais. En France, les actions symboliques se multiplient devant des usines ou sièges d’entreprises comme à Lyon, Toulouse, Créteil ou Brest. Côté juridique, onze ONG ont attaqué la France en justice pour qu’elle suspende les livraisons d’armes en direction d’Israël en raison du risque d’être utilisées dans les attaques à Gaza. De quoi inspirer les militant·es marseillais·es, prêt·es à continuer le combat pour la cause palestinienne. Sous la clameur des militant·es réuni·es au pied de l’usine, l’une d’elles crie : « Quoi qu’il arrive, Eurolinks on vous lâche pas ! »
1 Dont des groupes aussi variés que Révolution Permanente Marseille, BDS Provence, les Soulèvements de la Terre 13, XR Marseille, action Palestine Marseille, Urgence Palestine Marseille, Tsedek, Sud Éduc 13, Stop arming Israël…
2 « Guerre à Gaza : la France a fourni en secret des équipements de mitrailleuses à Israël », Disclose, 25/03/2023.
3 C’est le gouvernement, réuni en commission interministérielle sous la responsabilité du Premier ministre, qui fournit les licences d’exportations. Il est seul à juger si ces licences respectent les traités signés par la France à l’international et il n’existe pas de mesures juridiques pour les suspendre.
4 « Guerre à Gaza : la France vend-elle des armes à Israël ? Les réponses ambiguës de Sébastien Lecornu », L’Humanité, 28/02/2024.
5 Pour Boycott désinvestissement sanction, une campagne de boycott visant Israël.
Cet article a été publié dans
CQFD n°230 (mai 2024)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°230 (mai 2024)
Par
Illustré par Clément Buée
Mis en ligne le 03.05.2024
Dans CQFD n°230 (mai 2024)
Derniers articles de Étienne Jallot