Tourista mon amour

Le guide du non-tourisme

Aude Vidal est une camarade, journaliste et anthropologue, féministe et bien penchée sur les questions d’écologie. Son nouveau livre, Dévorer le monde (Payot, 2024), est en librairie depuis septembre. Compilation de réflexions, expériences et recherches sur les ravages du tourisme, il s’avale en une bouchée.

A-t-on vraiment besoin d’ailleurs ? Est-ce qu’on peut parler de rencontre quand on ne fait que passer ? Prend-on plus de plaisir à découvrir un paysage peuplé de perches à selfie ou quand on retourne voir un lieu familier ? Dans Dévorer le monde (Payot, 2024), Aude Vidal pose des questions simples, qui sont passées par la tête de pas mal d’entre nous, à condition d’appartenir aux catégories sociales où « partir à l’aventure » est une activité possible et valorisée. Elle y répond de façon critique, documentée et incarnée, partageant avec sincérité ses propres expériences, parce qu’elle a été globe-trotteuse, et pas qu’un peu. Ainsi, on se marre quand elle partage sa lose d’avoir voulu s’exercer à la « coolitude du voyage non planifié  » ; et on grince en découvrant les décombres laissés par ce qu’elle nomme une « arme de destruction massive  ». Parce qu’on le sait tous·tes : le tourisme c’est mal. Mais est-ce qu’on regarde vraiment en quoi ? On est souvent plus enclins à se justifier (tel le backpacker chevelu que tu croisas dans une lointaine auberge de jeunesse et avec qui vous souteniez tous les deux : « Je suis pas un touriste, moi !  »), qu’à observer avec honnêteté les dégâts de nos passages furtifs en terres lointaines.

En plus de foutre en l’air la planète, le voyage est un vecteur véner de néocolonialisme et un moyen de se distinguer socialement

L’empreinte carbone ? On voit bien. Mais que dire de l’expulsion de milliers de Massaïs en Tanzanie pour créer une réserve naturelle, afin d’accueillir écolos et chasseurs friqués venant de nos contrées, en manque de nature « sauvage » ? Et de l’abandon des métiers agricoles par les populations de villages en Asie du Sud-Est, qui se reconvertissent dans les métiers du tourisme et se mettent à parler globish à longueur de journée ? Encaisser. Digérer. Comprendre comment le voyage, sous quasiment toutes ses formes, en plus de foutre en l’air la planète, est un vecteur véner de néocolonialisme (56 % des budgets touristiques sont dépensés en Europe et aux États-Unis) et surtout un moyen de se distinguer socialement.

Tout le monde part en vacances aujourd’hui ? Faux et archi faux. Ça reste une activité de petits bourgeois venus de pays riches. Aude Vidal rappelle qu’« en France les personnes ayant le plus haut revenu étaient 82 % à partir en vacances (contre 47 % pour les plus pauvres)  ». Quand on ferme ce bouquin, on s’est regardé le nombril et on a ouvert les yeux sur le monde… On l’a fait, le voyage initiatique, mais depuis son canapé. Tiens ? C’est peut-être une bonne façon de partir à l’aventure…

Par Pauline Laplace
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Cet article a été publié dans

CQFD n°234 (octobre 2024)

Dans ce numéro, on revient avec Valérie Rey-Robert sur ce qu’est la culture du viol dans un dossier de quatre pages, avec en toile de fond l’affaire des viols de Mazan. On aborde aussi le culte du patriarche et les violences sexistes dans le cinéma d’auteur. Hors-dossier, Vincent Tiberj déconstruit le mythe de la droitisation de la France. On se penche sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, avant de revenir sur la grève victorieuse des femmes de chambres d’un hôtel de luxe à Marseille. Enfin, on sollicite votre soutien pour sortir CQFD de la dèche !

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