Dans mon salon
Animal de vivre
Dimanche, tôt le matin, le fond de l’air est hiverneux. Mon sentiment de mélancolie s’accroît alors que la file s’allonge devant le parc expo de Marseille. Ça fait longtemps que j’ai pas vécu avec un chat. Ou avec qui que ce soit. Je me demande si les gens qui attendent l’ouverture du salon des animaux de compagnie se sentent comme moi, seuls à crever. Peut-être rencontrerai-je ici un être avec qui partager mon quotidien ? Espoir vite raboté : l’odeur qui me saute à la gorge dès l’entrée me dissuade de troquer ma liberté contre un bac de litière.
Avec mon budget, je pourrais me payer un cochon d’Inde à 30 balles, mais j’ai pas le crush
Débarrassée de toute attente, je déambule, légère, entre les cages et les enclos. En plus d’être une prison, l’amour, ici, s’achète. Whitney qui me fait les yeux doux ? 1 500 euros. Avec mon budget, je pourrais me payer un Cavia Porcellus (cochon d’Inde) à 30 balles, mais j’ai pas le crush. Dans un délire plus olé olé, des pythons somnolent dans des barquettes en plastique façon traiteur, qu’on peut emporter pour quelques centaines d’euros. Quand on n’a pas un radis, Achatina Fulica, rachitique escargot, 5 euros. Et tout en bas de l’échelle, reste un lot de blattes à 3,90. Vieux plan. Reste une solution alternative : devenir famille d’accueil. Un membre de l’association Les furets des calanques m’apprend plein de trucs sur ces bestioles. Je retiens que la SNCF a un service spécial pour accompagner les animaux de compagnie. Le délire me dépasse.
« Au fond, c’est les maîtres que j’éduque ! » me confie Maryse qui vend des jeux d’éveil en bois pour chiens et chats qu’on dirait tout droit sortis d’une école Mont et souris. Alors qu’autour de nous, des « mon chéri », caresses, léchouilles et poutous s’échangent allègrement entre humains et non humains, je lui demande si elle considère que les animaux sont nos égaux. Elle m’assure qu’elle ne considère pas son fils et son chien de la même manière. Ouf ! Je me sens rassurée. Paf ! Une gamine prend une claque sur la paluche et se met à pleurer.
« Mon mari n’aimait pas les chiens, mais fallait bien trouver un moyen de compléter sa retraite » me raconte Teresa qui garde un stand de Bergers des Pyrénées. La vie de salon ? Elle s’y est faite. « J’aime voyager d’une ville à l’autre » raconte-t-elle du haut de ses 80 ans. Sa moitié nous rejoint, on papote un moment. Il est sourd, elle a un début d’Alzheimer. Ils viennent de mes montagnes natales. Y a quelque chose de familier. « Comment vous faites pour vivre dans cette ville ? » me demandent-ils en écarquillant les yeux. Je sens arriver un laïus sécuritaire. Tout mimi qu’il paraisse, ce couple façon perruche bat de l’aile vers la droite.
« Y a de ces ratasses ici ! » s’exclame Teresa, choquée d’en avoir croisé une ribambelle à la sortie de son hôtel. Je les avais oubliés ! Pourtant, avec eux, je partage un vaste espace. Qui nous protège des touristes rapaces ? Nos camarades rats, nos anges gardiens poubelles. La plus belle compagnie de tout habitant de Marseille.
Cet article a été publié dans
CQFD n°238 (février 2025)
Dans ce numéro, un dossier sur la Syrie post-Bachar, avec un reportage sous les bombes turques à Kobané. Mais aussi des nouvelles de Mayotte où il faut « se nourrir, reconstruire et éviter la police ». On se penche également sur une grève féministe antifasciste et sur la face cachée des data centers. Puis on se demandera que faire de la toute nouvelle statue du général Marcel Bigeard, tortionnaire en Algérie, qui vient d’être érigée en Lorraine – un immense scandale.
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Paru dans CQFD n°238 (février 2025)
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Mis en ligne le 14.02.2025
Dans CQFD n°238 (février 2025)
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