Dans mon salon

Yachting : la monstrueuse parade

Trottiner d’un stand à l’autre, se glisser parmi les exposants, observer et prendre note, s’approprier un Salon. Le Salon du yacht, à Cannes, est l’occasion de côtoyer l’univers stratosphérique des grandes fortunes de ce monde.

Comme si le Festival de cinéma ne remplissait pas le quota bling-bling de la ville de Cannes, celle-ci accueille aussi le Salon du yacht. Alors que j’en passe les portes, ma propre odeur me gêne comparée aux parfums délicats émanant des corps qui m’entourent, enveloppés dans des tenues vestimentaires qui coûtent trois fois le SMIC. Dents blanches, cheveux doux, taille de guêpe pour les femmes (les hommes ont le droit d’être bedonnants). Avec leurs postures hautaines, et leurs rires forcés, les riches en font des caisses. Je me sens crasseuse et boudinée. Je ne parlerai à personne.

Le Vieux-Port et le port Canto sont envahis d’embarcations aux prix mirobolants. L’Audace, le Victoria, le Nirvana, le Dolce Vita… Des noms évoquant un mixte entre parfums pour keums et Kama-sutra mégalo. Pour pénétrer dans un de ces mastodontes (humblement dénommé Pegasus), j’enlève mes baskets, les pose à côté d’une paire de Louboutin et laisse glisser mes chaussettes trouées sur un parquet en teck. Les volumes sont immenses, le design subtil, les tables dressées, les lits impeccablement faits (par d’autres que les proprios, évidemment). Une hôtesse vêtue de blanc vaque sur le pont pour parfaire la déco. Les six chambres sont toutes équipées d’un lit double et d’une salle de bains individuelle, comprenant douche, baignoire et chiottes. Six chiottes pour douze personnes… J’en déduis que les membres de cette caste ont un sérieux problème de trous du cul.

Sur la jetée, un type s’embrouille avec sa meuf au téléphone et braille une dizaine de fois « Tu me fais perdre mon temps ! » De l’argent, aussi, j’imagine. Dans une file d’attente, deux vieux beaux en costard listent le coût de tout ce qui nous entoure : tel bateau, tel immeuble sur la croisette, telle compagnie qu’Un tel a revendue à tel autre. Sur un canot pneumatique qui file à toute blinde (une navette reliant les deux ports), un jeune couple d’entrepreneurs fait l’éloge d’un « client russe » décrit comme « un homme si simple !  » On fait des bonds sur les vagues et on prend de l’eau plein la tronche. Tout le monde glousse. Quelle aventure ! Un ado s’extasie : « Le bateau Lamborghini ! » Selfie général. Au secours ! Je veux retrouver la terre ferme.

Dans le train retour, contrôle des billets. J’ai oublié de renouveler ma carte ZOU et prends une douille. « J’ai passé une journée épouvantable ! » soupirait une femme botoxée tout à l’heure. Ça nous fait un point commun. Pour me consoler, je pense avec délectation à la disparition de Mike Lynch, magna de la tech, dont le yacht a fait naufrage au large de la Sicile le 22 août dernier. Celui-ci fêtait sa relaxe d’un procès pour fraude. Je paye une amende, il garde sa fortune, mais croupit quelque part, dans les fonds marins. Cheh !

Par Pauline Laplace
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Cet article a été publié dans

CQFD n°234 (octobre 2024)

Dans ce numéro, on revient avec Valérie Rey-Robert sur ce qu’est la culture du viol dans un dossier de quatre pages, avec en toile de fond l’affaire des viols de Mazan. On aborde aussi le culte du patriarche et les violences sexistes dans le cinéma d’auteur. Hors-dossier, Vincent Tiberj déconstruit le mythe de la droitisation de la France. On se penche sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, avant de revenir sur la grève victorieuse des femmes de chambres d’un hôtel de luxe à Marseille. Enfin, on sollicite votre soutien pour sortir CQFD de la dèche !

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