Algérie
Le changement… c’est jamais !
A la terrasse d’un bistro, Kamar, Algérien de Kabylie, se marre en parlant de son pays, l’Algérie. Mais dans son œil, il y a une pointe de tristesse. Avec une verve toute méditerranéenne, les phrases s’enchaînent à toute vitesse, sautant du coq à l’âne à chaque ponctuation. Les élections d’avril ? « Ce qui intéresse les Algériens, c’est comment sortir de là. » Là, c’est quoi, là ? « Là, c’est un groupe de gens, les “Casquettes”, qui s’accaparent l’économie et la politique depuis l’Indépendance. » Les Casquettes, ce sont les militaires qui tirent les ficelles en coulisse depuis l’Indépendance. « Les politiques, le président, les policiers, les affaires… tout ça, c’est sous le contrôle des Casquettes. Et ils font en sorte que rien ne change vraiment. »
Et il précise : « Depuis 62, en Algérie, c’est un certain nationalisme qui est à l’œuvre. Les militaires visent à formater une mentalité. Pour eux, c’est comme si la finalité était de sortir de la colonisation. Mais, avoir l’indépendance, ce n’est que le début d’un processus. […] Pour aller vers une Algérie républicaine, laïque, diverse... Avec la liberté de culte, de conscience... Mais ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé. En fait, pour les militaires, l’Indépendance c’est la fin de tout le processus. »
Quand on lui demande de décrire la situation de l’Algérie aujourd’hui, Kamar s’énerve presque. « Un pays où tout est triste : femmes voilées partout, […] impossible de se promener avec une nana ou siroter une bière tranquille. Avant tu pouvais faire tout ça, enfin, un peu plus. Jusque dans les années 1980. Tout ne va pas si mal, hein ! Je veux dire, les gens ont des logements, à manger… Et des voitures ! On voit partout des concessionnaires ! Mais la culture ? Les théâtres ? En ruines, pas entretenus. Le théâtre de Kateb Yacine ? Disparu ! Les lieux de formation ? Ils sont fermés. En fait, on ne produit plus rien sur place, on importe presque tout. Et c’est payé par le pétrole, le gaz, les matières premières… »
En effet, 97 % du volume des exportations concernent gaz et pétrole. L’envolée des cours depuis 1973 et le premier choc pétrolier (dont la nationalisation du pétrole algérien marqua le début) représente une véritable manne financière… Manne que se partagent allègrement les Casquettes et qui sert à irriguer tous les réseaux clientélistes. « Tout le monde, finalement, est corrompu. Depuis tout en haut jusque tout en bas. Alors, comme tout le monde bouffe, on ne se révolte pas. Ça fait que le peuple s’en fout de la politique. […] Sauf dans les stades ! Faut regarder le championnat de foot algérien ! On voit, on entend des choses, des slogans. C’est très drôle, très fort, très impertinent ! Rien à voir avec les élections. »
« Les élections du 17 avril, c’est un bal masqué, balance Kamar en rigolant après une pause. C’est du virtuel, voilà. Quoi qu’il en soit, ça restera dans le sérail. Quand tu regardes les débats, les discours, c’est comme un théâtre. Ça pourrait être drôle ! Les candidats disent tous les mêmes choses : “Au nom de Dieu miséricordieux…” puis “si je suis élu vous aurez tout... blablabla…” C’est comme des marabouts... Comme si par des formules magiques ils allaient tout arranger. »
Puis le rire se fait grinçant quand soudain Kamar se met à parler des hôpitaux. « Les hôpitaux, ce sont de vrai abattoirs, sales, mal gérés. Certains parlent de moderniser, de faire des ponts, des tours, des grands travaux… Au lieu de construire des hôpitaux, des écoles, de faire venir des profs pour remplacer ceux qui ont été assassinés pendant la guerre civile par les islamistes… Ce n’est pas avec les ponts et les tours qu’on va sauver l’Algérie ! Mais avec l’éducation, la santé, la liberté. Maintenant dans les écoles on prêche la religion, on parle de l’enfer, de comment laver les corps avant l’enterrement. C’est n’importe quoi ! A mon époque on lisait des versets du Coran à l’école, d’accord, mais c’est tout. Tout le problème est là : ils ont compris qu’il ne fallait pas instruire le peuple. C’est bien qu’ils ont peur de nous. Alors chaque génération est sacrifiée. Détruire l’école, les vestiges anciens, les traces du passé, la culture du peuple… Tout remplacer par la religion et le nationalisme algérien. Tiens, par exemple, en ce moment y a un conflit à Ghardaïa entre les populations mozabites et arabes. Les médias, le gouvernement n’ont pas cessé de jeter de l’huile sur le feu en disant que les Mozabites n’étaient pas de vrais Algériens. Résultat, il y a eu des affrontements, des morts. Après, évidemment, il y a toujours un ministre qui va faire le beau, là-bas, pour rassurer et promettre la sécurité, comme un sauveur. »
De l’autre côté de la Méditerranée aussi, la sécurité est visiblement l’un des thèmes phares de la campagne. Et avec une certaine vision des printemps arabes. « Les politiciens algériens montrent les voisins : la Tunisie, la Lybie et disent : “Vous voyez le bordel ? Vous voyez la crise chez eux ? Le chômage, le manque de pain ? Alors surtout restez bien tranquilles, sinon ça va vous arriver à vous aussi.” Ils disent ça au lieu de les aider ! La Tunisie, c’est un “pays frère” qui nous a beaucoup aidés pendant la guerre d’Indépendance. Aujourd’hui, les Tunisiens ont de gros soucis économiques et pourtant ils viennent de voter la liberté de culte et d’expression dans leur Constitution. Ça pourrait être un modèle pour notre pays. En Algérie, on a l’argent mais pas de liberté. C’est aussi pour ça que les jeunes ne pensent qu’à partir. Harraga ! C’est le nom du jeune qui quitte son pays et c’est aussi le nom de notre émission. »
Et Kamar d’embrayer sur cette émission qu’il anime depuis 15 ans : « A la radio, on fait parler les gens, sans censure. Et puis on picole pas mal aussi ! On veut que ce soit très démocratique. Parfois, ce sont des intellectuels et on écoute ça comme des enfants. Parfois, ce sont des gens qui ont tellement besoin de parler ! Comme cette femme qui travaillait à l’ambassade d’Algérie à Rome et qui a vidé son sac, en pleurant. La parole est libre. Parfois, on se fait insulter, mais la plupart du temps les gens sont vraiment contents de pouvoir dire tout ce qu’ils pensent. »
On demande à Kamar s’il rêve qu’un jour l’Algérie soit aussi libre que sur son antenne. Avec la même pointe de tristesse, il répond : « Les Algériens rêvent. Il ne leur reste que ça. »
1 Tous les jeudis de 16 à 18 heures.
Cet article a été publié dans
CQFD n°121 (avril 2014)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°121 (avril 2014)
Par
Illustré par Rémy Cattelain, Charmag
Mis en ligne le 29.05.2014
Articles qui pourraient vous intéresser
Dans CQFD n°121 (avril 2014)
Derniers articles de Julien Tewfiq
- <
- >
30 mai 2014, 15:59, par Philippe
Evitez ce genre de remarque conne : "dans un exercice de démocratie orientée à la Poutine". C’est le même genre de discours que les néocons américains (républicains et démocrates).
30 mai 2014, 17:30, par Roquentin
Ouais CQFD, évitez de vous fâcher avec tout les nerds atrabilaires en pâmoison homoérotique devant Poutine, ça vous met d’office dans le camp des talmudo-sionniste de l’OTAN anglo-protestant pédo-maçonnique qui veulent nous couper le zizi avec des chemtrails et kidnapper des femmes blanches dans les cabines d’essayage grâce aux crocodiles lâchés depuis les égouts de New York qui remontent les lignes transatlantiques du Nainternaite de la NSA avec l’aide de Bruxelle-Aviv.
Ça pourrait vous attirer des ennuis comme heu, clique, ou encore heu... clique, et puis peut-être heu... clique. Clique clique, clique clique ? Clique clique ! Cliquicliquiclique !
1er juin 2014, 14:30, par Piotr
C’est vrai ça, évitez d’être blessant à l’égard de Vladimir, sinon c’est un aller simple pour la Mordovie !
25 juillet 2016, 14:50, par CHALIMO
MERKI ! HARRAGAS
31 mai 2014, 12:13, par Pseudo de rien
Voilà un article plutôt sympa sur l’Algérie. Et les deux seuls commentaires concernent Poutine et le conspirationnisme.
CQFD, ne les écoutez pas. Continuez à suivre votre propre chemin. Vos lecteurs sont avec vous.
1er juin 2014, 11:12, par Maboulox
Moi je trouve le commentaire de Roquentin plutôt marrant
6 août 2016, 13:12, par Anti-hagra
Bonjour, Déjà on est pas obligé de se connecter pour laisser un message et ça c’est bien, je tenais à le dire.
Et pour les propos de Kamar ben... "c’est comme il a dit lui" hein... l’Algérie c’est difficile, mais les mascarades dictatoriales finissent toujours par s’écrouler sous les coups de butoir des citoyens.