Le cadre se rebiffe

À PROPOS DE L’USINE, j’aurais pu vous parler de mon atelier qui, après un chantier de cinq mois, n’arrive pas à redémarrer. Parce que, mettre du matériel de dernière génération sur des machines qui ont trente ans, ça ne réussit pas souvent et,au fur et à mesure qu’on avance dans la procédure de démarrage, on découvre des fuites ou des problèmes. Tout le monde dans l’atelier est crevé à cause de la tension, des heures sup’obligatoires et de devoir courir partout. J’aurais pu vous parler aussi des trois procès aux prud’hommes intentés par des collègues et par la CGT de la boîte contre le patron, mais tout cela c’est du quotidien. Actuellement,l’usine est sous le coup d’une affaire beaucoup plus « people », tout le monde en parle dans les ateliers et les bureaux et pendant ce temps-là, on ne pense pas à autre chose. Tout le monde est à l’affût des moindres ragots sur cette affaire.

Quand je suis rentré à l’usine, un des premiers conseils qu’on m’a donnés c’est : « Ne mélange pas le cul avec le travail. » Recommandation facile à tenir dans une boîte où ne travaillent que des hommes et où les rares femmes se trouvent dans les bureaux. Les quelques collègues homos ne draguent pas non plus au boulot. Du coup, les « histoires » ont toujours concerné des cadres, jadis avec leur secrétaire,aujourd’hui avec d’autres cadres, car ici l’encadrement s’est nettement féminisé. Les cadres, avec leurs horaires, avec leur univers qui s’arrête aux bornes de la boîte et avec leurs relations de pouvoir sont souvent sujet à ce genre de liaison.

Les histoires d’adultère de nos cadres émaillent donc notre quotidien,mais là, avec la mode des reality-shows, où tout le monde se confie à tout le monde, et avec l’outil Internet, cela a pris une tout autre ampleur.

P. a été DRH de l’usine jusqu’en juin2008. Il a quitté ses fonctions assez rapidement et ça a étonné tout le monde, d’autant qu’il disait partout qu’il voulait rester jusqu’en 2010. En partant, il a expliqué qu’il avait trouvé mieux dans une autre filiale de Total. Seulement six mois après, nous apprenons qu’il a été débarqué du jour au lendemain de son nouveau poste, ce qui nous a fait nous poser quelques questions sur le parcours du bonhomme. P. était un DRH qui ne voulait pas de conflit et qui savait embobiner pour faire comprendre à tous ceux qui souhaitaient une augmentation comment ils pouvaient s’en passer. Il n’y avait pas eu de gros conflits pendant qu’il était là, mais on s’est rattrapés depuis (voir CQFD précédents).

Quand, par le biais de l’Intranet, un message est parvenu dans les bureaux, les syndicats et quelques ateliers, tout le monde a été surpris. Le DRH cachait bien son jeu. Petit, bedonnant, maniaque, cinquante piges, il était tout le temps à nous vanter les valeurs chrétiennes et familiales. Là, par mail, il nous a appris ses aventures sexuelles avec la chargée de la communication (une jeune cadre qui en veut, envoyée spécialement par Total pour redorer l’image de la boîte, mais qui n’en fiche pas lourd). Il ne donne pas beaucoup de détails, mais tout est lourd de sous-entendus. Rien de tel qu’un catho traditionaliste qui se lâche. Pire que tout, il descend le cadre (devenu chef de service) qui l’a remplacé dans les bras de sa belle. Il accuse, il vide son sac. N’ayant plus rien à perdre, il déverse sa bile et veut entraîner le nouveau couple dans sa chute. A priori,il semblerait qu’il soit accusé de harcèlement par voie de mails,et surtout d’avoir colporté des bruits sur le nouvel amant auprès d’autres DRH.

Bref, vous voyez le topo. Du sordide chez les cadres. Et dans les ateliers, où le nouveau galant est devenu le responsable, les mails sont accrochés en évidence, histoire de montrer que tout le monde sait. Les salariés se sont emparés de l’histoire pour se moquer de leur chef et pour relativiser tous les discours qu’il pourrait tenir afin que les gars restent tranquilles à bien lui obéir.

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