En 1999, Francis Gillery sortait sur le petit écran Le cartable de Big Brother. Dans son docu, l’auteur démontait les vues libérales de la Commission européenne qui fait la promotion à tout va du numérique dans l’enseignement. Tirant le fil de son écheveau, l’auteur mettait à jour les souffleurs de texte de ladite commission : l’European Round Table, un groupe de pression d’une quarantaine de firmes transnationales œuvrant pour que l’enseignement s’ouvre aux lois du marché.
Dans toute bataille, il y a un cheval de Troie. Les industriels ont le leur : le cartable électronique. « Ce cartable peut aller de la simple clé USB à l’ordinateur portable. Il est ensuite relié à un Espace numérique de travail (ENT) qui est un centre de ressources auquel l’élève mais aussi les parents, les professeurs et l’administration scolaire pourront se connecter. Actuellement en France c’est la société Archos qui est leader sur le marché avec son Classmate pour les 4-12 ans », explique Cédric Biagini, membre du collectif Livres de papier [1] . Une innovation qui a tout pour plaire : qui n’a jamais ressenti un pincement au cœur en voyant ces mômes ployer l’échine sous le poids de leurs bouquins ? Qui ne s’est jamais offusqué de la fracture numérique qui promet les écoles rurales à la relégation informatique ? Sûrement pas notre ex-ministre de l’Éducation, Xavier Darcos, qui débloquait, en 2009, 67 millions d’euros afin d’équiper 6 700 écoles de nos campagnes en « ressources numériques reconnues de qualité pédagogique ». Pour inciter les établissements à s’adonner à cette ivresse technologique, le discours est bien huilé, dénonçant d’un côté l’archaïsme du tableau noir et vantant de l’autre un développement stimulant des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Des TIC qui font tiquer, et pas qu’un peu. « Le point de vue patronal est très simple : face à la mondialisation, l’école est trop rigide, inadaptée, décrypte Cédric. De la même manière qu’on a flexibilisé le salarié, il faut flexibiliser l’élève, lui apprendre à se former tout au long de sa vie, abolir la frontière entre les moments pédagogiques et de consommation. Par ailleurs, tout le monde fait le lien entre le développement des machines et la suppression de postes peu qualifiés comme les caissières, mais l’on voit venir l’extension du phénomène aux postes qualifiés avec, par exemple, un professeur réduit à un rôle de gestionnaire de machine électronique. Sachant que l’idée finale du cartable électronique est de faire disparaître l’école en tant que lieu physique. » Sombre prophétie confirmée par l’augmentation croissante des enseignements et formations à distance et du e-learning. Aux États-Unis, nombreux sont les professeurs d’université devenus administrateurs de forums Internet, leurs élèves suivant leurs cours de chez eux. En septembre 2009, en pleine psychose sur la grippe aviaire, le lycée d’Arsonval à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) a dû fermer une classe. Le rectorat de Créteil a innové en mettant les cours en ligne et en permettant aux élèves de s’y connecter via leur cartable électronique. L’expérience a duré une semaine et a été saluée au nom du principe de continuité pédagogique.
Du 23 au 25 novembre 2011 aura lieu à Paris le troisième Salon professionnel de l’éducation Educatec – Edicatice. Conférences, expositions, ateliers… Ce petit raout auquel sont conviés institutions publiques, collectivités territoriales et kiosquiers de la presse numérique et pédagogique a pour but de promouvoir le développement du numérique au sein des établissements scolaires. Point d’orgue de la manifestation, la remise des Trophées des technologies éducatives valorisant « les initiatives de collectivités qui ont su mettre en place de véritables politiques publiques en matière de numérique ». Voilà pour l’émulsion et la saine concurrence. Guest star de l’édition 2010, Luc Chatel, ministre de l’Éducation, avait prévenu : « L’avenir de l’école ne s’écrira pas à la craie ». À la tête de l’évènement cette année, on retrouve Laura Garcia Vitoria, tête pensante du réseau Arenotech [2], ONG internationale vantant les atours irrésistibles de la « ville numérique ». « Sur cette question, les gens sentent bien qu’il y a quelque chose qui cloche, mais on n’a pas encore construit les outils théoriques pour une critique efficace », conclut Cédric. Faudrait pourtant pas tarder : le flicage par GPS des élèves séchant les cours est en phase d’expérimentation en Californie [3].