La chronique judiciaire où l’on évoque la vérité et le néant

MARSEILLE, comparutions immédiates. La cour est déjà installée et a commencé à instruire le premier dossier quand le public est autorisé à entrer dans la salle. Un gars de 20 ans, R., est dans le box des prévenus. « Il vous est reproché d’avoir frauduleusement soustrait un scooter. La victime vous a reconnu car il vous voit souvent et vous possédez un scooter tel qu’il était décrit. Vous ne comprenez pas avoir été reconnu par la victime. – Je confirme. » Le procureur se lève : « L’essentiel de ce dossier repose sur des témoignages de la victime. Ça ne repose pas sur l’air, mais il y a des contradictions : il est déclaré qu’il est blond et qu’il a la peau mate, et monsieur est plutôt brun et blanc. Est-ce que c’est une erreur de plume des policiers, est-ce que c’est une erreur de la victime ? Je n’y accorderais pas une grande importance, car la victime dit que son agresseur vit dans son quartier, elle ne s’est pas trompée, qu’il a tel scooter, elle ne s’est pas trompée. La question est toujours la même : quelle importance allez-vous accorder à la parole de la victime par rapport à celle de celui-ci ? Où est la vérité ? Elle n’est ni d’un côté ni de l’autre, elle est dans la décision que vous rendrez, c’est la vérité judiciaire. » L’avocate commise d’office enchaîne : « La déclaration de la victime me gêne un petit peu parce qu’il y a la description des cheveux et de la peau, et en même temps le fait que l’agresseur est porteur d’un casque à visière noire. » Le dossier de P. est appelé, un homme de 40 ans entre dans le box. « Il vous est reproché d’avoir dans la nuit du 18 au 19 octobre détruit un bien mobilier de la collectivité, en l’occurrence des conteneurs de poubelles de la Communauté urbaine de Marseille par le moyen d’un incendie qui s’est propagé à des véhicules. La Communauté urbaine demande la somme de 4 825,89 euros. À 2 h, les policiers vous surprennent en train d’allumer un incendie. Vous étiez sous l’emprise de l’alcool. Comment vous expliquez-vous ? – Je peux pas vous dire, j’ai pas la notion. D’habitude, je bois pas, mais j’étais contrarié. – Contrarié par quoi ? – Parce que j’ai des problèmes. – Mais il faut vous soigner parce que vous devenez un danger pour l’ordre public. Vous êtes en accident de travail depuis 2007, vous étiez agent d’entretien. Vous n’avez pas été scolarisé avant l’âge de 9 ans. Vous avez quel niveau scolaire ? – Aucun. » Une femme dont la voiture a été brûlée déclare d’une voix larmoyante : « Je n’ai pas pu aller travailler, mes filles ont fait des cauchemars. – Êtes-vous en mesure d’évaluer votre préjudice ? – Oui j’ai fait une lettre. – Ah oui, je lis : “Vu l’inquiétude par rapport à la sécurité de l’enfant, le manque à gagner, la mise en défaut vis-à-vis de l’employeur”, etc., etc., “je demande 4 000 euros” » Le procureur intervient : « Il profite de grèves désordonnées et d’une ville éparpillée pour mettre le feu à des conteneurs. Aujourd’hui, avec tous les cartons et les papiers, on pourrait allumer un incendie à un bout de Marseille, il se propagerait à l’autre bout de la ville. Le problème, monsieur, c’est que vos démons intérieurs, qui vous conduisent à un état d’ivresse continu, risquent de vous mener simplement en prison. Vous allez me dire que depuis 3 ans il n’y a plus rien sur votre casier, mais il ne faut pas prendre les gens pour des abrutis. Mme la présidente, il a été dit ici récemment qu’on ne fait que condamner des gens qui ont une vie triste à mourir, mais si on veut continuer à vivre ensemble dans une relative sécurité, la société doit se protéger. C’est pourquoi je demande 4 ans ferme. » L’avocate commise d’office s’offusque : « Je ne veux pas viser les cantonniers, mais cette situation sociale actuelle que l’on déplore ne doit pas alourdir la peine de M.P. 4 ans, il ressort dans 4 ans ? Déjà que c’est le néant, ça sera encore plus le néant. Concernant les parties civiles, vous limiterez le remboursement au nombre réel de conteneurs. Pour ce qui est du préjudice moral de la victime, 4000 euros c’est très, très élevé ! » Les délibérés sont rapides : R., « reconnu coupable », prend la peine requise, 3 ans dont 18 mois avec sursis. Quant à P. : « Le tribunal vous condamne à 4 ans de prison dont 2 ans avec sursis, avec obligation de soins, obligation de travail, obligation d’indemniser les victimes. Pour la Communauté urbaine, vous aurez 1 940,64 euros à payer, et 760 euros au titre du préjudice moral de la victime. Est-ce que vous avez compris, monsieur ? Bien, vous pouvez partir. Au revoir, monsieur. »

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1 commentaire
  • 6 décembre 2010, 16:50

    Ce n’est pas la Cour, c’est le tribunal.

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Cet article a été publié dans

CQFD n° 83 (novembre 2010)

Tous les articles sont mis en ligne à la parution du n°84.

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