[|Résistances à l’obligation|] De fait, la Commune de Paris (mars à mai 1871) n’innove pas réellement en matière de santé publique. La capitale a été touchée par le fléau variolique qui a fait 5 000 victimes durant le siège de l’hiver 1870. L’Académie de médecine avait alors proposé au gouvernement de Défense nationale la mise en place d’une vaccination systématique pour les gardes mobiles. Malgré une décroissance sensible de l’épidémie en 1871, l’initiative vaccinale communaliste de la mairie du 14e arrondissement ne fait donc que prolonger une campagne amorcée en amont. Rien ici à mettre sur le compte d’une décision révolutionnaire, mais plutôt sur celui de la continuité de politiques sanitaires adoptées par la plupart des États européens. En outre, l’obligation vaccinale n’est pas encore à l’ordre du jour – on propose l’équivalent de deux jours de solde d’un garde national en échange de la miraculeuse piquouse. Si la vaccination antivariolique est déjà obligatoire dans l’armée et pour la plupart des garçons scolarisés, elle ne le sera pour tous qu’en 1902. Du moins en théorie, car l’application de la loi reste d’abord platonique et aléatoire.
Il faut dire que l’obligation vaccinale provoque partout des résistances particulièrement virulentes. Bien souvent l’hygiénisme, qui a la prétention de devenir une science de gouvernement, se double d’une gestion autoritaire des classes populaires. Après l’adoption de la loi en Angleterre en 1853, les villes industrielles du Nord, dont Leicester, deviennent des bastions du mouvement de protestation antivaccinale de masse, « contre l’État tyran et la science athée [4] », dont l’influence conduira à un assouplissement des mesures coercitives au tournant du siècle. En 1885, Montréal connaît à son tour des émeutes en plein pic épidémique. En 1904, à Rio, la vaccination obligatoire, qui accompagnait une politique de démolition des quartiers populaires, met le feu aux favelas, laissant le nom de Revolta da Vacina. Dans le monde paysan, les jacqueries antivaccinales sont redoutées. Les moujiks de l’Empire russe comme les fellahs d’Égypte accueillent cette inoculation venue de la ville, du pouvoir central ou colonial, avec la même hostilité que la conscription ou la levée d’impôts.
En France, les avancées de l’immunologie avec Louis Pasteur suscitent quelques grincements dans le concert national de louanges. En 1885, le polémiste Henri Rochefort, ancien proscrit de la Commune passé à l’extrême droite, conteste l’efficacité du vaccin contre la rage et accuse le « chimiste-financier » d’abuser de la « poltronnerie humaine » et de vouloir profiter des deniers publics. Le 26 juillet 1886 à Paris, la grande Louise Michel se laisse même embarquer dans un raout antivax. L’ancienne communarde y prononce une très courte allocution quelque peu nébuleuse et purement compassionnelle en hommage aux étudiants qui « meurent de la science » (sic) sous les quolibets d’un auditoire chahuteur. Ridiculisée, on ne l’y reprendra plus ! [|La variole éradiquée|] Malgré le scepticisme persistant, les faits sont là : la politique vaccinale réduit progressivement les ravages de la « mort rouge », plus d’ailleurs par une « pédagogie » prudente et des appels à la raison médicale que par la coercition. La panique donne parfois plus de résultats que l’obligation : ainsi, en 1907, on assiste à une ruée spontanée sur les vaccins après une alerte à la variole noire en provenance de Marseille. Le dernier épisode épidémique national, au milieu des années 1950, provoque 16 morts sur 73 cas dans le Morbihan, où « l’on voit des autorités prendre à bras le corps le problème, patauger parfois, mais être rarement déstabilisées par une opinion qui réclame du vaccin plutôt qu’elle ne regimbe à la piqûre [5] ». En 1980, à force de campagnes de vaccination, la maladie est déclarée officiellement éradiquée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). On estime que le vaccin aura permis de sauver plus de 1,6 million de vies chaque année à l’échelle planétaire.
Cependant, le spectre de la variole utilisée comme arme bioterroriste a été réactivé au début des années 2000 par l’administration américaine, se laissant la possibilité de se servir de l’urgence sanitaire comme une continuation de l’antiterrorisme par les mêmes moyens et vice versa [6]. Un cas de figure également envisagé par le Sénat français dans un rapport parlementaire sur « le risque épidémique » en 2005, qui considère alors qu’une vaccination généralisée immédiate, bien que nécessaire, serait « difficilement concevable car les effets [secondaires, NDLR] de ce vaccin sont redoutables » : il pourrait causer lui-même « plusieurs milliers de décès et d’encéphalites graves »… On l’a échappé belle !
[/Mathieu Léonard [7] /]