Punk
LKDS : de l’autonomie politique à l’autonomie paysanne
CQFD : Trente ans et toutes vos dents, peux-tu revenir sur l’histoire de LKDS ?
D’jha-X : Alors, vite fait, c’est l’histoire d’un ado en quête de lien social et humain qui débarque à la capitale, rencontre rapidement les bonnes personnes aux bons endroits [le squat mythique de Palikao], puis, à la suite d’un regrettable accident du travail chez des mercenaires de l’ONU, décide de leur rendre hommage en créant un orchestre nommé Les Camionneurs du suicide puis Les Kamionërs du suicide, et enfin l’acronyme LKDS. Ensuite, de rencontres en rencontres, le groupe s’est agrandi, a disparu puis a réapparu… De-ci de-là sortaient des enregistrements sur des compils comme Le Rock est terroriste, Enragez-vous ou Rock Army Fraktion, un 45T autoproduit en 1988, puis un suivant en 2010.
Le groupe jouait lors de concerts en lien avec les luttes : l’antifascisme avec les soirées Scalp/Reflex, les mal-logés, les prisonniers. La plupart avaient lieu dans des squats où vivaient certains d’entre nous. En fait le groupe n’était qu’un moyen d’expression parmi d’autres (fanzine, radio pirate et manifs) pour faire écho à nos luttes et, à travers des textes parfois immatures, exprimer des sentiments plus personnels. Par chance, la plupart de ces textes ont disparu sans laisser de traces, mais celles et ceux qui se sont essayés à l’exercice savent combien il n’est pas aisé d’écrire des textes.
Tu ne m’as pas encore parlé du style musical. Une sorte de reggae punk vitaminé ?
Si on écrit « punk-reggae » sous le nom de groupe comme aime le faire Tapage, je pense que c’est réducteur, car, si l’on prend le répertoire actuel, il y a « Couscous saignant », « SVP » qui est plutôt rock’n’roll, « Le Cauchemar immigré » qui sonne hip hop/fusion/metal, et pour les autres, oui c’est vrai, on est plutôt sur des bonnes bases de punk rock, de reggae, de dub et de ska.
Rétrospectivement, quel regard portes-tu sur la scène dite « alternative » des dernières décennies ?
Avec certains groupes de cette période classifiée, étiquetée et commercialisée sous le doux sobriquet de « rock alternatif », il est vrai qu’on a des différences, voire des antagonismes, sur à peu près tout. Certains acceptaient sans vergogne de jouer dans les temples de la consommation et contribuaient à mettre en spectacle une idée de la révolte qu’ils portaient sur eux… De l’opportunisme à l’imposture, juste une ligne et un riff de guitare. Certains ont terminé, lamentables, en icones de show télé et d’autres sont canés par la poudre. Certains sont devenus apôtres mercantiles du tiers-mondialisme triomphant allant jusqu’à célébrer la « découverte des Amériques ». Dans tous ces cas, la récupération et la digestion de leur rébellion de posture par les tenanciers du show-bizz s’est faite dans la foulée, au son des tiroirs-caisses. Entre ceux qui venaient s’encanailler dans nos squats et ceux qui venaient y trouver un chapitre exotique pour leur biographie future, le « rock alternatif » fut la transformation en mode éphémère d’un énième sursaut de culture populaire en choux gras de quelques compagnies de disques. Mais bon, ce qu’on appelle scène ou rock alternatif n’est rien d’autre que la continuité de cette chose « punk ». Rétrospectivement, je porte un regard critique et autocritique. Toutefois, à l’heure actuelle, loin des projos du grand régisseur, il existe pléthore de groupes, de fanzines virtuels et papier, d’émissions de radios qui continuent cette expression incontrôlée. Cette « scène » qui ne porte plus de nom, c’est le DIY (do it yourself) et elle est bien vivante, participant dans ce monde en convulsions à la critique sociale.
Peux-tu m’expliquer le tropisme qui mène une partie des agités urbains des squats de l’est parisien aux chemins cévenols, comme c’est ton cas ?
De l’autonomie politique à l’autonomie paysanne : autoproduire une partie de sa nourriture c’est aussi se réapproprier une partie de son existence. Je me lève parce que j’en ai envie et, selon le temps, le désir, les besoins, je vais faire ceci ou cela. Rien d’exceptionnel, mais rien non plus d’ennuyeux. Et, sur le plan humain, c’est comme en ville avec l’anonymat en moins, mais l’autorité et le contrôle social sont partout, chaque canton a ses brigades de gendarmes et ses délateurs.
Vous avez joué à NDDL. Quel regard portes-tu sur toute cette lutte ?
C’est un bel exemple de situation où l’on peut tenir tête à l’État et certains aspects de cette lutte démontre s’il était besoin les limites du pacifisme bêlant et la possibilité de coexistence dans une lutte d’ampleur, de points de vue et de pratiques qui en d’autres circonstances auraient donné lieu à de sévères clash. NDDL me fait penser à une île (ou un quartier) libérée de l’emprise de l’empire mais encerclée par ses forces et, dans cette île, coexistent une multitude de mondes dont le point de ralliement reste la lutte contre un projet économique nuisible.
Après, je ne suis pas persuadé que le slogan « contre l’aéroport et son monde » ait la même signification pour tout le monde et on s’en rend compte peu à peu à travers les divergences qui éclatent tant sur place que dans les textes et les actions.
Pour ce qui est de soutenir cette lutte, on le fait par chez nous, on y est allé, et on continuera surtout sur la deuxième partie du slogan… Et ce qui ne change pas, c’est cette idée que le monde que nous voulons ne peut être fait que d’une infinité de mondes. Et ça, c’est un gros bordel !
Plus d’infos sur Punxrezo.
Sortie prochaine d’un split 33T (LKDS/Bière sociale) en coproduction avec Maloka, Rudy’s back, FFC prod, etc.
Cet article a été publié dans
CQFD n°112 (Juin 2013)
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Paru dans CQFD n°112 (Juin 2013)
Dans la rubrique Page Musique
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Mis en ligne le 10.09.2013
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