Cap sur l’utopie

Jimmy Gladiator, « le lépreux de la littérature »

Jimmy Gladiator était une intrépide utopie anarcho-burlesque vivante à lui tout seul. Il a dévissé son billard au mois d’avril. Hommage.

Alors qu’à l’heure où se frigoussent ces lignes, Christophe Castaner, Luc Ferry et bien d’autres dangereuses nuisances continuent à nous pomper l’oxygène, le fabuleux poète émeutier Jimmy Gladiator a bel et bien, lui, dévissé son billard le 10 avril dernier. Je ne lâche pas les grandes eaux parce que, dans un faire-part funéraire, ses frères et sœurs d’armes les plus intimes demandent friponnement « qu’on rie pour lui ».

Autoproclamé « le lépreux de la littérature », Jimmy Gladiator était en effet une intrépide utopie anarcho-burlesque vivante qui fut, entre 1974 et 1996, avec son poteau Jehan Van Langhenhoven, l’âme damnée d’une tripotée de petits canards tirebouchonnants ultra-radicaux fichtrement inspirés et désespérants pour « les larves résignées à n’être que ce qu’on leur dit d’être » (La Crécelle noire, Le Mélog, Incendie de forêt, Camouflage, Hôtel Ouistiti, Nevermore, Tomahawk et Cie).

Au confluent du surréalisme de combat de la première heure qui prescrivait de se vivre comme « menace permanente » et du ravacholisme gouailleur (« Rions dangereusement », lit-on dans Le Mélog), Gladiator et sa bande de guillerets galapiats n’ont jamais cessé de filer des trempes aux « intégristes du paraître moderne », c’est-à-dire aux « poseurs, embrouilleurs, imposteurs, têtes creuses, faux frères et autres limes sourdes » ramenant partout leur fraise. « Seuls et farouches », « n’ayant plus le temps d’être tolérants » envers l’intolérance ordinaire, joignant la parole flagellante – « Nous conchions les culs-à-fric et les pines-à-salon » ; « Nous pissons sur les professionnels de la critique, bigleux et sourdingues » – aux gestes « outlaws » contre « la nouvelle franc-matonnerie », ils ont été de tous les mauvais coups justiciers.

Ils lapident à coups de fruits blets les « pohètes sans honneur » accourus au raout chiraquien du Festival de la ville de Paris. Ils crachent publiquement sur tous les étiquetages (« Merde aux races  ! » ; « Je suis breton, kanak, aztèque, kabyle, thaï, balinais, tchèque, manouche, juif, égyptien, persan, wolof, tamoul, cherokee, magyar, tout cela à la fois, quand ça me chante et que j’y prends plaisir » ; « Brûlez vos états-civils  ! » « Changeons de langues et de patries comme de chemises »). Ils se rallient aux révoltes corsées, de Wounded Knee à Soweto, des grévistes sauvages de Longwy aux Gari (Groupes d’action révolutionnaires internationalistes) engeôlés, de Nina Hagen à Roger Knobelspiess. Ils ensanglantent à la peinture rouge la station de métro Argentine en référence aux répressions du moment. Ils rappellent par des communiqués, lors d’une visite papale en France, que « les querelles théologiques ne devraient se résoudre que sur le sable des arènes et dans la gueule des fauves ».

Ils font sauter, armés de pieds-de-biche, les plaques de rue « ignominieuses » qu’ils rebaptisent gredinement. C’est ainsi que le 8 septembre 1979, à 19h40, les turlupins ont « solennellement chassé le nom d’Ordener, général, du 18e arrondissement de Paris pour y substituer celui de Jules Bonnot, anarchiste, qui, le 21 décembre 1911, avec quelques amis et en cette même rue, avait autoréduit la sacoche d’un encaisseur de la Société générale ». Et que, dans la foulée, l’avenue de la Grande Armée s’est transmutée en avenue de la Colonne Durruti, la rue des Martyrs en rue du Repos des Lions, la rue de la Banque en rue Bonnie & Clyde, la rue Lafayette en rue Nadja, la place de la Bastille en place Sade.

Toute la philosophie de Jimmy est remarquablement condensée dans une formule du brûlot Surréalistes, nous  ? Ah la la… (1981) : « Il nous faut de l’enthousiasme, de la passion, de la volupté, de l’ivresse joyeuse. »

À lire impérativement : Tapis franc et autres cadeaux provos de Jimmy Gladiator (éd. Rafael de Surtis) et le tout récent Fin de partie (éd. Le Mélog/La Crécelle Noire).

Noël Godin
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