Cuisine et évocations intimes
Ingrédients populaires
Quoi de mieux que de parler de bouffe pour se rencontrer et apprendre à se connaître par-delà les différences ? C’est tout le projet de la revue Ingrédient, qui sillonne depuis 2020 les petites rues et espaces d’activités des quartiers populaires de Marseille à la rencontre de ses habitant·es et de leurs plats de prédilection1. Édité par l’association Le Bouillon de Noailles2, chaque numéro est le travail d’une nouvelle équipe réunie autour d’un thème qui lui est cher. Dans « Cure de jouvence », le 18e numéro sorti à l’été 2024, ce sont les enfants du quartier qui ont la parole. Au détour d’un accueil collectif de mineurs, au pied de leur immeuble ou à l’Espace des Enfants Autonomes, dans la rue d’Aubagne, ils et elles nous parlent de leurs centres d’intérêt, de la vie de leur quartier et – bien sûr – de leurs recettes préférées. Pour Farida, ça sera le quatre-quarts, pour Tayssir, la mloukhia tunisienne. Ewerton, lui, ne jure que par la feijoada de sa tata, quand Sandor n’aspire qu’à manger les buuz de son père, fameux plat national mongol. L’embarras du choix et l’eau à la bouche !
Au fil des pages et des portraits, les échanges culinaires immergent dans la vie bouillonnante de Marseille, deviennent les « évocations intimes » de parcours de vie particuliers et de souvenirs familiaux d’ici ou d’ailleurs. Et, en fond, c’est tout le tissu social et associatif du quartier qui transparaît. « Noailles, en vrai ça va, raconte Maïssa, douze ans, en parlant d’œufs tomates à la marocaine. Mais juste, y’a certaines personnes qui sont un peu folles et un peu bizarres, mais sinon ça va. Je trouve que c’est un beau quartier […] il y a plusieurs cultures mélangées, c’est ça que j’aime bien ici aussi. » Jebril, 10 ans, dont le cœur balance entre le riz aux calamars et la tortilla aux oignons, évoque aussi Noailles : « C’est un quartier pauvre mais, franchement, ils se connaissent largement tous, c’est bien, c’est l’harmonie. J’aime bien quand tout le monde se connaît. » Il parle aussi de l’association Because U Art, qui lui a permis de jouer dans un orchestre, tandis qu’Abasse, onze ans, qui partage la recette du mkatre goudou goudou comorien, raconte comment il est accompagné dans sa scolarité par les bénévoles de l’association Destination Familles.
Loin d’être un livre de cuisine – ni quantités précises ni mode d’emploi technique – la revue est tout aussi vivante que les quartiers qu’elle donne à voir. Et depuis 2020, elle emmène qui a la curiosité de la lire dans les salons de coiffure de Noailles, à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de La Valentine, en terrasse au Bar du Peuple, dans l’animée rue de l’Académie, ou à un banquet à ciel ouvert dans le quartier d’Air Bel, dans le 11e arrondissement. Des mondes à portée d’assiette.
1 Plus d’information et possibilité de commander les anciens numéros sur le site de l’association éditrice : lebouillondenoailles.fr. Une audiothèque de morceaux choisis est aussi disponible.
2 Association à but non lucratif menant à Marseille des actions d’insertion professionnelle, des projets culturels, sociaux et solidaires, autour de la cuisine et de l’alimentation.
Cet article a été publié dans
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Paru dans CQFD n°233 (septembre 2024)
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Mis en ligne le 20.09.2024
Dans CQFD n°233 (septembre 2024)
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