Avis à la population, les Caisses d’allocs familiales (CAF) communiquent ! Toulouse : 462 fraudes détectées en 2010 contre 316 en 2009. Vienne : la lutte contre la fraude en 2010 a permis une économie de 449 000 euros contre 170 000 l’année précédente. Loire : la commission fraude a enregistré une hausse de 40 % de dossiers litigieux en 2010. Plus dévastatrice qu’une salade de graines germées, la fraude sociale enfle d’année en année et siphonne nos maigres finances publiques. Sécurité sociale, assurance-chômage, RSA, impôts : aucun secteur n’est épargné. Et nos hauts responsables de se tirer la bourre à coup de surenchères médiatiques.
On pense à Éric Ciotti, président du conseil général des Alpes-Maritimes, et son projet de brigade anti-fraude aux aides sociales. On pense à Laurent Wauquiez, ministre des Affaires européennes, pour qui l’assistanat est un « cancer de la société française ». On pense aussi à notre ministre du Travail, Xavier Bertrand, qui rappelait le 15 avril que « la fraude, c’est pas du système D, c’est du vol ». Le 22 juin, le Parlement enfonce le clou : la fraude sociale coûterait 20 milliards d’euros par an – dont les trois quarts imputables au seul travail au noir, donc, soulignons-le, aux patrons qui ne déclarent point leurs soutiers ! On propose alors un panel de mesures destinées à stopper l’hémorragie : carte Vitale biométrique, extension des fichages et des contrôles, durcissement des sanctions pénales… Les dispositifs disciplinaires s’empilent les uns sur les autres : dès 2008, les caisses de l’assurance maladie facilitaient les échanges de données avec leurs homologues du fisc. Échanges sans cesse étendus au fil des différentes lois de financement de la sécurité sociale. Depuis 2010, chaque département est doté d’un Comité opérationnel départemental anti-fraude (Codaf) dans lequel œuvrent douane, police, inspection du travail, organismes sociaux… Conseiller Pôle emploi à Gaillac (Tarn), Thomas Domenech nous éclaire : « Depuis la circulaire Hortefeux de 2007, on ne peut inscrire un demandeur d’emploi qu’après avoir vérifié la véracité et l’authenticité soit de sa carte d’identité soit de sa carte de séjour. Notre premier rapport avec l’usager est devenu un rapport de soupçon. L’opération a lieu en cachette : on se lève pour faire une photocopie et on passe le document sous la lampe UV. À notre mission d’accompagnement, on veut substituer des missions de contrôle. Or ces deux notions sont incompatibles. » Nombre d’agents refusent ce rôle [1], mais d’autres font du zèle. En 2009, un sans-papiers mauritanien se faisait cueillir par la police aux frontières (PAF) au sortir d’une convocation au Pôle emploi d’Orléans. Thomas poursuit : « À partir du moment où tu mets dans la tête des gens que le bon Français, c’est celui qui se tue à la tâche pour le Smic tandis que son feignant de voisin vit grassement des aides sociales, tu produis une politique de stigmatisation des plus pauvres. On revient à des conceptions du XIXe siècle où la mendicité et l’oisiveté étaient considérées comme un crime. » Philosophie partagée par Sophie Roquelle, du Figaro : « On les surnomme parfois “les canapés”. Dans le milieu de l’insertion professionnelle, on connaît bien ces demandeurs d’emploi qui ne demandent plus grand-chose, sinon de rester chez eux devant la télévision. Le travail n’est plus qu’un vieux souvenir. Leur univers se résume à un gros sofa face à un immense écran plat […]. » [2] Saisissant portrait de l’infâme fraudeur !
Mais les chiffres de la fraude sont gonflés à l’hormone sécuritaire. Le directeur de la CAF de Haute-Garonne l’avoue : sur 40 millions d’indus récupérés par son organisme, seuls 0,15 % concernaient des fraudes avérées [3]. Un fait corroboré par Thomas : « Au niveau des prestations chômage, la fraude est très limitée. Tout simplement parce que 55 % des inscrits ne perçoivent ni indemnités ni RSA. La véritable fraude provient des employeurs, mais comme leurs attestations sont assises sur une masse salariale globale, il est impossible de les contrôler. » Et de se souvenir : « Un jour, je reçois une dame. Je lui demande : “Vous faites quoi ?” Elle me dit : “Rien, mon fils est autiste et ça m’arrange de rester au chômage.” Je fais quoi, moi ? Aux yeux de la loi, elle fraude. Je la radie, ou je fais un entretien bidon ? » Et pourquoi pas direct en garde à vue ? La LOPPSI 2 [4] permet désormais aux agents Pôle emploi d’être admis dans la réserve civile de… la police nationale ! S’il y avait encore besoin de lever certaines ambiguïtés…