Socialiste en treillis
Guerre : Pourquoi ont-ils tué (deux ou trois fois) Jaurès ?
Et pan ! L’assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914 scella l’union sacrée des républicains de gauche comme de droite et permit le départ la fleur au fusil du bon peuple vers une des plus grandes boucheries de l’histoire. Depuis, la social-démocratie fricote plus volontiers avec les marchands de canons qu’avec l’idéal de fraternité internationale. Et Jaurès, devenu icône d’un socialisme ouvrier et pacifiste tombé en désuétude, a pu être tripoté par tous les confusionnistes de profession, y compris le libéral-va-t-en-guerre Nicolas Sarkozy. D’ailleurs, quand Manuel Valls prétend fonder le socialisme du XXIe siècle, il préfère invoquer Georges Clemenceau. Premier flic de France, puis « premier poilu » et matamore officiel de la clique qui envoyait des millions de jeunes gens à la mort pendant la Première Guerre mondiale, le grigou moustachu est en effet bien plus contondant que le robuste barbu de L’Humanité.
Si aujourd’hui Hollande et Valls, encore plus qu’Obama, ont chaussé les patins kaki de Bush, c’est que le « socialisme », en tant que deuxième jambe du système, se doit d’obtempérer à la fièvre interventionniste et à la soif d’accumulation primitive du capitalisme contemporain. Et tout cela n’est pas nouveau : la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) de la Quatrième République était déjà à la manœuvre durant la guerre d’Indochine, l’insurrection malgache et les « événements » d’Algérie. À l’époque, comme Clemenceau, François Mitterrand, partisan de l’Algérie française à tout prix, fait ses armes en qualité de ministre de l’Intérieur, puis garde des Sceaux. Bien plus tard, lors de la première guerre du Golfe de Bush père, ce même Mitterrand, devenu président, enrôlera la France dans une expédition militaire qui inaugurait la nouvelle agressivité impériale des États-Unis, qui se sentait pousser des ailes une fois effondré l’ennemi soviétique.
Entretenir le chaos au Moyen-Orient n’est pas qu’un retour aux fondamentaux du pillage colonial, mais aussi un juteux business en soi. C’est devenu la planche de salut d’un Occident désindustrialisé et endetté qui voit dans la fuite en avant belliciste le seul moyen de maintenir sa domination face à la concurrence des pays émergents. Alors qu’en 2003, Jacques Chirac et Dominique de Villepin brandissaient « une certaine idée de la France » dans une tentative désespérée de sauver les contrats pétroliers passés avec Saddam, Hollande s’est volontairement laissé embrigader dans le clan des chefs de guerre atlantistes. Pire, le jeu de domino déclenché par Sarkozy en Libye lui permet de redorer son blason en faisant cavalier seul au Mali, puis en Centrafrique. Depuis, Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian sont devenus des marchands d’armes de première classe, à tel point que Serge Dassault, ennemi politique, en roucoule des compliments énamourés. À capitalisme de guerre, « socialisme » de guerre. À tel point que la sénatrice PS Samia Ghali réclamait il y a peu l’envoi de l’armée contre les dealers de shit des quartiers nord de Marseille, tout comme, encore plus récemment, le président du groupe socialiste au Sénat, Didier Guillaume, appelait l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes par la soldatesque. Et Jaurès dans tout ça ?
Cet article a été publié dans
CQFD n°141 (mars 2016)
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Paru dans CQFD n°141 (mars 2016)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Nicolas de la Casinière
Mis en ligne le 04.04.2018
Dans CQFD n°141 (mars 2016)
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