Gastronomie participative

En ces temps de malbouffe dans l’assiette et de précarité dans le turbin, les expériences de cantines alternatives fleurissent. Dans l’une d’entre elles, à Marseille, on se dit que l’art de bien manger ensemble et de refaire le monde n’est pas forcément l’apanage d’une élite aisée mais d’affinités électives multiples.

Rue Bernard, quartier populaire de la Belle de Mai, où un monde s’assemble autour des forts en gueule, des professionnels du PMU, des Italiens et des Gitans, des Arabes et des Arméniens, vient de s’ouvrir une cantoche associative baptisée La Kuizin. Dix mois de travaux, quelques subventions, beaucoup de récup’, d’huile de coude et le concours du GRUIK (Groupe de Recherche Utopique, Ingénieux et Kaléidoscopique) auront été nécessaires pour sédentariser une expérience de cuisine collective au départ nomade.

Tandis que les légumes se découpent et que les marmites bouillonnent, le flot des participants à la bouffe du midi ne cesse de grossir. Dans ce joyeux bordel, au gré des désistements de dernière minute et des bonnes surprises, renaît chaque jour le projet du collectif autour d’Anne, Juliette, Delphine, Rico et les autres. La cuisine justement est aussi vaste que la salle afin que chacun puisse, s’il en a envie, mettre son grain de sel et la main à la pâte dans la confection du repas. Juliette insiste d’ailleurs sur ce point : « On n’est pas un resto, on n’a pas de clients mais un public qui participe avec nous à la création des plats. » Une idée qui fait progressivement son chemin non sans quelques balbutiements : « Un jour, un bénévole a voulu faire un risotto qui a continué de cuire pendant une heure et demie. Pour les derniers arrivés, c’était vraiment dégueu. » De même, la démarche de ne pas faire de service en salle pour stimuler la curiosité et les échanges, l’envie de venir voir l’alchimie culinaire en train d’opérer, n’a pas été comprise d’emblée par tous.

Ainsi, ces architectes se plaignant dans les colonnes d’un gratuit local que le service était trop long. Qu’à cela ne tienne, l’équipe entend continuer à bousculer les mauvaises habitudes, et en premier lieu le rapport à l’argent. « Les prix que nous pratiquons sont indicatifs, le plus bas pour payer les produits et le loyer, le plus haut pour soutenir l’asso. Cela laisse le choix aux gens et, comme pour le prix libre, cela entraîne pas mal de discussions et de prises de tête. » Ensuite vient la qualité des produits. « On a fait le choix de la filière courte pour favoriser les petits producteurs locaux qu’on aime bien, qu’ils fassent du bio ou non. D’ailleurs pour les gens du quartier, si tu leur dis végétarien, bio ou commerce équitable, ils entendent salade de blettes aux lentilles, pas bon et très cher. » À terme, la création d’une coopérative avec d’autres associations ou des particuliers devrait leur permettre de proposer les meilleurs produits au meilleur prix.

Le projet s’inscrit donc dans une vision plus large, celle de l’apprentissage d’une autre relation à la nourriture, à la consommation. Dans ce sens, adultes et enfants seront conviés à des ateliers où, à l’occasion d’un repas de quartier par exemple, ils pourront se familiariser avec l’origine des produits, les conditions de production, quelques notions de diététique. « La cuisine permet d’avoir un résultat immédiat qu’on peut partager avec tous à la différence d’autres activités comme la poterie ou la musique qui exigent plus de temps. » Comme le dit un voisin qui fréquente : « Hé, vous êtes bien courageuses ! »

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