François Duvalier dit Papa Doc (1907-1971)

Catégorie : top dictateur.
Mort : dans son lit.

« Les tontons macoutes, ils mangent du caca ! » C’est portés par ce chant que des habitants de Port-au-Prince célèbrent la chute du clan Duvalier en dansant sur le mausolée de « Papa Doc » avant de le « déchouquer » (verbe d’origine antillaise signifiant déraciner des mauvaises herbes ou déboulonner un personnage important, ici les deux) et de s’en prendre à sa dépouille, le 8 février 1986, quinze ans après sa mort. Il faut dire que le « président à vie » avait durablement mis son pays dans la merde. Avec la bienveillante complicité des Américains, des Français et autres soutiens politico-humanitaires, l’île ressemble plus aujourd’hui à une scène de crime internationale qu’à un pays. Mais pour décimer ses opposants, massacrer les métis et maintenir son petit peuple dans les égouts de l’humanité, «  le Père spirituel de la Nation  » s’était appuyé sur des ressources locales : ses fameux « hommes bâtons » (tontons macoutes en créole), une milice sanguinaire aux ordres d’une idéologie qui confondait négritude et chemises noires ; ainsi que sur le vaudou, dont « l’électrificateur des âmes » fit une religion d’état tout en y incarnant un rôle taillé sur mesure, celui du « Baron Samedi ». En effet, pour consolider son pouvoir, aussi bien temporel que spirituel, le docteur dictateur ne se contentait pas de revendiquer son statut de chef vaudou. L’identification avec le Baron Samedi, l’esprit de la mort et de la résurrection, le poussait à des apparitions publiques, vêtu d’un costume de soirée à queue-de-pie noir, coiffé d’un chapeau haut de forme blanc, portant des lunettes de soleil et des boules de coton fourrées dans les narines. Ainsi déguisé, ce farceur fasciste affectionnait une démarche au ralenti et une voix d’outre-tombe pour impressionner son auditoire. Mais il pouvait lui arriver d’être pris à son propre jeu. Il ordonna ainsi la mise à mort de tous les chiens noirs du pays, après qu’une rumeur s’est propagée affirmant qu’un de ses opposants avait choisi la race canine comme véhicule de sa réincarnation. Fervent pratiquant, « l’être immatériel » consultait régulièrement la tête tranchée d’un de ses concurrents politiques qu’il conservait à la maison dans un pot en terre. Ce qui n’empêchait pas « l’apôtre du bien-être collectif  » de rester très ouvert aux autres religions et philosophies, même les plus éloignées de ses pratiques quotidiennes. C’est ainsi que quelques années seulement après ses célèbres « vêpres jérémiennes » (où plusieurs centaines de femmes, vieillards et enfants qui avaient le défaut d’être « mulâtres » sont torturés puis tués), « l’Homme Drapeau » rédige un hommage au martyr de la non-violence, le révérend Martin Luther King. Tyran complexe donc.

Sa tombe vient d’être refleurie par le fils indigne héritier, venu « apporter son aide » lors du récent tremblement de terre. L’un des rares cataclysmes auxquels la famille ne semble pas être directement liée. Sauf à considérer que les 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de sans-abri seraient moins imputables à la tectonique des plaques qu’à l’état de délabrement général du pays et l’absence de médecins. Bref, que 99 % des victimes seraient en fait imputables à la pauvreté et donc peut-être aussi un peu à la responsabilité des Duvalier. Mais, arrêtons de pinailler.

Où aller danser ce soir ?

Difficile de faire mieux que la festive destruction à mains nues de la sinistre sépulture du dictateur démoniaque par une foule en liesse, le 8 février 1986. De son imposant mausolée, il ne subsiste aujourd’hui que des ruines, à l’image du pays qu’il a laissé derrière lui. À la kermesse libératrice s’est ajouté le passage des « pilleurs de tombe », ferrailleurs ou simples rescapés de la misère, qui récupèrent chez les morts tout ce qui est monnayable pour prolonger leur propre vie. La frontière entre les deux mondes est d’ailleurs mince, vaudou oblige. Le grand cimetière de Port-au-Prince résonne quotidiennement du son des fanfares, orchestres, chants, et cérémonies – comme le célèbre « rara » – qui accompagnent les processions et rites mystiques assurant la communication avec les esprits de l’au-delà. Mais si le cimetière est si animé, c’est surtout grâce aux milliers de vivants qui y ont trouvé refuge et ont fait des caveaux leurs maisons. On y dort, on y mange, on y boit et on y fait l’amour beaucoup, stimulé par la présence du Baron Samedi, qui est aussi l’esprit du sexe et de ses excès.

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1 commentaire
  • 2 avril 2014, 12:48

    Au fait, que devient maintenant Son auguste fiston ?

Paru dans CQFD n°119 (février 2014)
Dans la rubrique Viva la Muerte !

Par Patrick Watkins et Jean-Pierre Le Nestour
Mis en ligne le 02.04.2014