Palestine

« Vers une intifada des réfugiés ? »

À Dheisheh, un camp au sud de Bethléem, plus de 10 000 personnes ont vécu, durant plus de trois semaines, au milieu des poubelles et au rythme des manifestations des enfants privés d’école . Nous avons rencontré Mahmoud, l’un des 150 travailleurs pour l’ONU dans le camp, en grève de la faim . Entretien.
Par A. B.

Deux mois de lutte. Dans le silence et l’indifférence. Début février, la grève des travailleurs de l’UNRWA (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) a pris fin dans les territoires palestiniens. Une demi-victoire, bien sûr, pour les milliers d’employés palestiniens de l’ONU qui assurent l’essentiel des services sociaux, d’éducation et de santé auprès des réfugiés, au nombre de plus de 700 000 en Cisjordanie. Les grévistes ont signé fin janvier un accord-cadre avec leur administration, qui devrait résoudre le contentieux sur leurs salaires, sans toutefois satisfaire leurs exigences politiques, à propos de l’avenir des réfugiés et l’éternelle revendication du « droit au retour ». Mahmoud, travailleur social gréviste, rencontré début janvier dans le camp de Dheisheh, nous raconte les raisons de la lutte.

CQFD : Pourquoi avoir commencé cette lutte ?

Mahmoud : L’ONU prétend actuellement connaître une crise financière qui l’empêche d’appliquer correctement la résolution 302 [qui a créé l’UNRWA en décembre 1949 à la suite de la guerre de 1948, acte de naissance de l’État d’Israël, ndlr]. Cette crise financière est un mensonge, un écran de fumée destiné à masquer des raisons politiques, des problèmes de corruption et des pressions internationales pro-israéliennes.

Vous réclamez de meilleurs salaires ?

Les personnels de l’UNRWA qui travaillent en Cisjordanie sont moins bien payés que ceux qui travaillent dans les camps au Liban ou en Jordanie par exemple. Une enveloppe de 22 millions de dollars avait été débloquée par l’ONU mais n’a jamais été reversée ici. Nous voulons informer et tenter de défaire la pression du gouvernement israélien sur l’ONU. Nous souhaitons non seulement une équivalence de salaire, mais une meilleure reconnaissance de notre statut, l’arrêt des contrats intérimaires et des licenciements pour raisons politiques. Comme partout, il y a beaucoup de chômage ici. Il faudrait se contenter d’avoir du travail, quelle que soit sa rémunération. C’est le principal argument de l’ONU pour ne pas accorder d’importance à nos revendications. Pour le « machin » sis à New York, nous employer, c’est déjà nous faire une faveur.

Vous avez parlé de licenciements pour raisons politiques ?

La police palestinienne et l’armée israélienne passent dans notre camp au moins deux fois par semaine, vers trois heures du matin, pour pratiquer des arrestations arbitraires, qu’ils justifient par une lutte contre le terrorisme. L’ONU remercie les travailleurs s’ils sont arrêtés ou s’ils ont des tendances politiques trop radicales.

Comment s’est organisée la grève à travers toute la Cisjordanie ?

Par le biais d’Internet, de quelques podcasts et d’un journal qui a circulé entre les camps. Il y a eu également des assemblées de l’Union des travailleurs et des meetings afin de tenir informée la population des camps des initiatives et des directions prises par le mouvement. Sur les dix-neuf camps, dix ont créé un centre d’organisation et de rencontre.

Les rares échos médiatiques sur votre lutte se sont uniquement résumés à la demande de revalorisation des salaires.

Au départ, cette grève ne concernait que les droits de travailleurs palestiniens de l’ONU. Très rapidement, ces revendications ont gagné un terrain beaucoup plus général, c’est-à-dire celui de l’avenir des réfugiés dans les camps. Les enfants et toute une partie des camps se sont également mobilisés, bloquant des rues, revendiquant l’accès à l’école, de l’espace pour jouer et des conditions de vie décentes.

Avez-vous été entendus sur ces sujets ?

Ici, à Dheisheh, personne n’est venu se préoccuper de notre sort. Personne ne nous a donné la parole. Aucune des revendications n’a été entendue, ni par les représentants de l’autorité palestinienne, ni bien entendu par le gouvernement israélien. Tout se décide derrière le mur. Depuis les accords d’Oslo et le prétendu projet d’un double État, les plus réfractaires à cette politique, c’est-à-dire les réfugiés qui ont tout perdu, sont largement ignorés. L’essentiel est de les étouffer, de laisser la situation se dégrader au maximum. Cette stratégie-là est aussi celle de la nouvelle bourgeoisie affairiste de Ramallah.

Comment voyez-vous l’avenir ?

La plus grande question que posent les réfugiés, et que personne ne veut entendre, concerne le droit au retour. La résolution 194 de l’ONU, prise en décembre 1948, affirme « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins  ». Je viens d’un petit village et j’espère pouvoir y rentrer un jour pour cultiver la terre qui a été volée à ma famille. Je crois que les réfugiés ne sont pas près d’abandonner ce combat. Même les enfants se retrouvent sur cette position, ils brûlent des ordures et organisent eux-mêmes des manifestations. Début janvier, un enfant de six ans a voulu s’immoler. Dès lors, il y a une seule et grande question à se poser : combien de temps reste-t-il avant de grandes émeutes ? Autrement dit, combien de temps avant une intifada des réfugiés ?

Par A. B.

L’éternel retour

Ils sont la blessure irréparable. Les réfugiés palestiniens ont perdu leurs terres et leurs habitations pendant la guerre de 1948-49 à l’origine de la création de l’État d’Israël. Contraints à l’exode – départ dont les conditions sont l’objet d’innombrables débats d’historiens –, ils vivent en Jordanie, au Liban, en Syrie, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Leur statut, reconnu par l’UNRWA, a la particularité unique d’englober les victimes directes de la Nakba, la catastrophe de 1948, mais aussi leurs descendants. De presque 800 000 à l’époque, ils sont désormais plus de 5 millions de réfugiés, en ajoutant les exilés de la guerre des Six Jours en 1967.

Ces « camps de réfugiés » constituent des quartiers pauvres et très denses, des petites villes dans la ville. Créé en 1949 pour assister temporairement les réfugiés, l’UNRWA, présent dans 59 camps, n’a jamais cessé de voir son mandat renouvelé. Pourtant, dès 1948, l’ONU avait reconnu le droit pour les «  réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible ». Ce « droit au retour » cristallise depuis cette époque les conflits avec le gouvernement israélien. Son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liberman, déclarait encore en janvier dernier qu’il ne permettrait pas le retour « même d’un seul » réfugié palestinien.

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1 commentaire
  • 18 mars 2014, 11:35, par nico

    mais quand on est né dans un pays, bien aprés un conflit ayant fait fuir vos parents, vous etes un refugié ? ça va durer combien de decennies cette histoire de refugiés ? et pourquoi à l’extreme gauche on ne dit rien sur cette escroquerie ? les pays voisins maintiennent les palestiniens dans un statut de citoyen de seconde zone en les appelant "réfugiés" même quand ils sont nés là (c’est méme la majorité des "refugiés") . ils s’en servent pour faire pression. quand est ce qu’on va dénoncer cet apartheid ? les palestiniens nés en syrie, liban, jordanie etc.... seront des réfugiés dans 50 ans ? dans 100 ans ? au lieu de se faire les porte voix des démagogues, militons plutot pour un choix des palestiniens avec des indemnisations conséquentes à la clef et cloturons le probléme. oui, je sais, les organisations politiques palestinienes ne veulent pas entendre parler. c’est leur magot. ils vivent la dessus. mais le palestinien lambda qui croupit dans un camp depuis des décennies avec ses enfants qui sont nés là, si on lui donne de quoi redémarrer une nouvelle vie, il va pas se faire prier.