Les fadas de l’Apocalypse

Fin du monde : un éternel retour

Il n’est évidemment pas question de nier l’affolante accumulation des périls écologiques qui menacent la planète, durablement ou définitivement. L’être humain s’est échiné à développer les outils de sa propre destruction, avec les conséquences dramatiques que l’on sait : épuisement des ressources, réchauffement climatique endémique, bio diversité en berne, etc. Sans parler des armes atomiques qui en cas de conflit important plongeraient la Terre dans l’hiver nucléaire. La fin du monde n’en est pas moins une vieille histoire, dont les épisodes ont largement précédé notre époque à fort potentiel apocalyptique. Cataclysmes, séismes, déluges, éruptions volcaniques, sécheresses, épidémies, comètes, chutes de météorites, massacres et effondrements d’empires rythment les récits eschatologiques depuis la nuit des temps.
D.R.

Dès l’Antiquité, même les philosophes les plus matérialistes ne doutent pas de l’inéluctabilité de la fin. « Ce serait une nouvelle nécessité pour toi de t’avouer vaincu, et de reconnaître que la terre et le ciel auront leur fin », argue déjà Lucrèce au Ier siècle avant Jésus-Christ. « Peut-être mes paroles seront-elles confirmées par l’événement ; peut-être un effroyable tremblement de terre t’apportera la preuve de l’écroulement universel.  »

Philosophe stoïcien, Sénèque cède également au pessimisme, soulignant la précarité du monde : «  Un jour suffira pour l’engloutissement du genre humain ; ce qu’une longue indulgence de la fortune avait distingué et élevé au-dessus du reste, la noblesse et la beauté, la puissance des grands peuples, tout sera anéanti. »

Scène imagée par Albrecht Dürer à la fin du XVe siècle).

Rédigée au Ier siècle après J.-C. et inspirée des désordres de son temps, l’Apocalypse selon Saint-Jean excelle à foutre la pétoche aux pèlerins, avec sa multitude d’effets spéciaux sidérants. Menant l’armée maléfique, la Bête, grand dragon rouge à sept têtes et dix cornes qui de sa queue entraînera le tiers des étoiles du ciel avant de les jeter sur la terre. En bonus : l’armée satanique de Gog et Magog dont le nombre égalera le sable de la mer, la loterie du jugement dernier, des pluies de feu et de sang, ainsi que quatre anges exterminateurs et leurs cohortes de deux cents millions d’hommes qui tueront le tiers de l’humanité. De quoi nourrir une foultitude d’hérésies.

(Ci-dessus la scène imagée par Albrecht Dürer à la fin du XVe siècle).

Mais loin d’annoncer un anéantissement définitif, la plupart des mythologies et religions ont fait de la fin du monde la promesse d’une renaissance et d’une régénération, d’un nouvel âge d’or.

Au XIIe siècle, le moine calabrais Joachim de Flore introduit ainsi une approche dialectique et émancipatrice : « Il y aura un temps où on vivra en esprit. Il durera jusqu’à la fin du monde. (...) Le premier règne est l’âge de la servitude servile, le second de l’obéissance filiale, le troisième de la liberté.  »

C’est ainsi que la révolte sociale a pu endosser le langage du millénarisme, entraînant pauvres et marginaux n’ayant plus rien à perdre dans le sillage de prophètes exaltés : Dolciniens du Piémont, taborites de Bohême, guerre des paysans allemands, anabaptistes de Münster. « De la fin du XIe siècle jusqu’à la première moitié du XVIe siècle, l’Europe vit à plusieurs reprises les pauvres, désireux d’améliorer leurs conditions de vie, mêler ce désir au rêve chimérique d’un nouveau Paradis terrestre, d’un univers libéré de la souffrance et du mal, d’un Royaume des Saints », écrit l’historien Norman Cohn dans Les Fanatiques de l’Apocalypse, paru en 1957. Avant de poursuivre : « L’histoire de ces siècles est, bien entendu, parsemée de luttes innombrables entre les privilégiés et leurs inférieurs : soulèvements des villes contre leurs seigneurs, des artisans contre les négociants capitalistes, des paysans contre les nobles. En règle générale, ces soulèvements ne se proposaient que des objectifs strictement limités – obtention de certains privilèges, abolition de certaines injustices – ou alors il s’agissait d’explosions de fureur destructrice suscitées par la misère pure et simple, et dont la Jacquerie constitue un exemple célèbre. Certains soulèvements revêtirent toutefois une portée différente. Le Moyen Âge avait hérité de l’Antiquité – des juifs et des chrétiens primitifs – une tradition prophétique qui connut un fantastique regain de vitalité.  »

Norman Cohn considérait que ces courants préfiguraient les fureurs révolutionnaires modernes. Dans le même temps, nombre d’hérésies s’étant livrées à de sanglants pogroms, il estimait que dans certains cas leur fanatisme avait constitué une anticipation du totalitarisme nazi et de son Reich de mille ans.

Cousin du christianisme, l’Islam a hérité de mythes communs, notamment en matière de millénarisme. Selon des hadiths du Coran, Issa (Jésus), redescendra du ciel et viendra à Damas « tuer le porc et briser la croix ». Puis il combattra Gog et Magog avant de transpercer le Dajjâl (Antéchrist) avec sa lance.

D.R.

Héritier de cette tradition apocalyptique, Daech avait claironné l’imminence de la bataille de la fin des temps. Elle devait se tenir à Dabiq, petite ville du nord de la Syrie où les armées du Califat auraient dû affronter les envahisseurs chrétiens. L’État islamique avait d’ailleurs nommé sa revue de propagande Dabiq. Pour l’instant, ce rendez-vous avec l’apocalypse a fait long feu. Ce n’est que partie remise, explique un article de Slate 1 : « Dans une étude désormais classique menée au milieu des années 1950, le psychologue Leon Festinger et ses collègues montraient que lorsque des mouvements apocalyptiques ou messianiques dépassaient la date de péremption prévue par leurs croyances, leurs fidèles étaient loin d’être dégoûtés par leur cause et, en réalité, gagnaient en dévotion ». On peut souffler, la fin du monde n’est toujours pas pour aujourd’hui.

Mathieu Léonard
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