Le 23 mai, cent trente gardes mobiles et gendarmes investissaient Bure, village de quatre-vingt-dix habitants, centre d’un territoire où sont déjà engagés des travaux destinés à l’installation d’un centre d’enfouissement de déchets radioactifs. Ce jour-là devait se tenir la première réunion de la Commission nationale de débat public, prétendument vouée à prendre en compte l’avis des populations. Très vite, les opposants bloquent la tenue de cette fausse concertation, contraignant les autorités à annuler les festivités. Dans les jours suivants, cette CNDP annulera préventivement les réunions prévues à Saint-Dizier et à Joinville.
« Je suis le président de l’association des élus opposants à l’enfouissement des déchets radioactifs des régions Champagne-Ardennes et Lorraine (EODRA) à laquelle adhèrent les élus de vingt communes dont ceux des villes de Verdun et Bar-le-Duc, déclare Jean-Marc Fleury, maire délégué de Varney (Meuse). Nous avons participé à cette action du 23 mai à Bure pour empêcher la tenue de cette prétendue commission nationale du débat public. Il est juste destiné à calmer les ardeurs en donnant l’illusion d’une discussion. En 2005 et 2006, il y avait déjà eu un débat : son seul effet avait été de confirmer le site d’enfouissement à Bure. Dix ans auparavant, il y avait déjà eu une pétition qui avait rassemblé 60 000 signatures, dont 40 000 dans la Haute-Marne. Elle est restée au fond des tiroirs. »
En décembre 1991, la loi Bataille décide d’organiser la gestion des déchets nucléaires. Après avoir étudié plusieurs hypothèses, le choix se porte sur le stockage géologique et l’entreposage de très longue durée. En 1994, trois sites sont retenus par le gouvernement de l’époque : dans la Haute-Marne et la Meuse, le Gard et la Vienne. Les sous-sols de ce dernier département s’étant révélés trop manifestement instables, ne restent plus en lice que les deux régions de l’est et du sud-est. Le saccage du siège de l’Andra de Bagnols-sur-Cèze (Gard) mené par des viticulteurs va conduire les autorités à choisir un territoire déjà suffisamment sinistré où ils espèrent ne pas rencontrer d’opposition. C’est donc Bure qui devra faire figure de terre sacrificielle. Jean-Pierre Remmelé, maire de Bonnet à 8 kilomètres de Bure, dont le sous-sol de la commune devrait contenir 40 % du stockage de déchets radioactifs explique : « Dans la région, les citoyens ne s’expriment pas beaucoup. Il y a l’habitude du sacrifice, issue de la Première Guerre mondiale : on suit l’autorité. Moi-même, je n’étais pas un opposant de la première heure. » S’il n’a pas l’intention d’empêcher les réunions de la commission du débat public, parce que « c’est la seule façon qu’il reste à la population pour s’exprimer » il dit respecter le choix de ceux qui les bloquent. Il constate que « le débat qui avait lieu en 2005 avait déjà été l’occasion d’exprimer un important refus du projet. Il a abouti à une confirmation de la décision antérieure par les députés qui n’étaient que quinze dans l’hémicycle à 5 heures du matin… Et puis, on n’a pas oublié les propos de Marie-Claude Dupuis, directrice de l’Andra, qui avait dit : “La population n’est pas à même de s’approprier le projet”. » « Si des élus se soumettent, avertit Jean-Marc Fleury, c’est uniquement en raison de l’argent proposé par le groupement d’intérêt public, courroie de transmission de l’Andra. Rien qu’en 2012, cette dernière a distribué 30 millions d’euros dans le département de la Meuse et dans la Haute-Marne. »
Jérôme, participant à la Maison de la résistance, installée au cœur du village de Bure où, depuis 2004, se rencontrent et s’informent des voisins, des habitants de la région et d’autres personnes de passage, confirme ce mépris : « Aujourd’hui, il est question de faire “discuter le peuple” alors que tout est déjà décidé et en phase de construction. Hors de question de se soumettre à ce simulacre. Nous sommes, appuyés par une quarantaine d’associations, pour le boycott actif de ce pseudo-débat public. On bloque et on bloquera chaque réunion, tout en sachant aussi que le débat va être dématérialisé notamment sur Internet. Pour nous, c’est l’occasion de se rassembler et réapprendre à lutter ensemble. Ils ont décidé de faire de cette région une gigantesque poubelle nucléaire, en déversant des débauches de pognon. Des paysans ont vendu leurs terres à des prix dont ils n’auraient jamais osé rêver, et cela grâce à des accords entre la Safer et l’Andra. Ils ont parlé de la création de 2 000 emplois. Ce seront évidemment des emplois temporaires, destinés à disparaître quand les installations seront achevées. Le caractère sinistré de cette région va encore s’aggraver : il n’y a déjà plus de travail, plus d’argent et en plus il va y avoir ces déchets nucléaires. On assiste à un véritable massacre social. » Selon les documents de l’Andra, à partir de 2017, chaque année, 550 000 mètres cubes de matériaux seront extraits du sous-sol puis 275 000 mètres cubes de béton seront injectés, soit un chassé-croisé permanent de camions. Dès 2025, l’acheminement des « colis » radioactifs représentera, par an, une centaine de trains composés d’une dizaine de wagons.
« Concernant les tentatives [antérieures] de gérer les déchets radioactifs, explique Jean-Pierre Remmelé, chacune d’entre elles a été un échec. Sans parler des rejets catastrophiques en mer, le stockage à la Hague a provoqué une importante pollution des nappes phréatiques. À Soulaines, dans l’Aube, l’Andra ne fournit aucune explication pour une pollution similaire. Il y a un très grand risque que ce centre industriel de stockage géologique de Bure impacte les nappes phréatiques et les ruisseaux des bassins Rhin-Meuse et Parisien. »
À ce stade, chacun sait que les moyens de contrecarrer le projet d’enfouissement sont limités. Selon Jérôme, « ne compter que sur l’émergence d’un rapport de forces local est un peu compliqué dans cette région où il n’y a que cinq habitants au kilomètre carré. Si on veut réussir, il faut que l’on ait des appuis de partout. » Si l’esprit n’est, pour l’instant, pas le même que celui de Notre-Dame-des-Landes, l’enjeu n’en reste pas moins de la plus haute urgence : « Avant tout cela, personnellement, déclare Jean-Marc Fleury, je ne m’étais pas posé de questions à propos du nucléaire. Aujourd’hui, je l’affirme : il faut sortir du nucléaire. Nous sommes à un point charnière de l’industrie du nucléaire. Si Bure ne se fait pas, le nucléaire s’arrêtera. »
La tournée de la CNDP devrait s’achever le 10 octobre après avoir sillonné la France. Il y en aura donc pour tout le monde ! [1]