Docu

En attendant les nanomerguez de carbone…

C’est le dernier avatar de l’industrialisation des animaux : identifier chaque animal, savoir de quel élevage il provient, ce qu’il a mangé le 29 février dernier. Le puçage par ce gadget qu’on appelle RFID (pour Radio Fréquence Identification) est en train de se généraliser pour chaque être vivant. C’est aussi la fin des pâturages tranquilles, de l’estive, des bergers qui couraient la montagne que racontent Antoine Costa et Florian Pourchi dans leur documentaire Mouton 2.0 – La Puce à l’oreille1. Les « industriels de la production animale » comme préfère les nommer Jocelyne Porcher, ancienne éleveuse et aujourd’hui penseuse de la cause animale2, veulent plus de rentabilité, de contrôle. Les éleveurs de la Drôme ou des Alpes-de-Haute-Provence, eux, souhaitent perpétuer une relation entre l’homme et son troupeau. Ils ne sont pas sur le déclin, certains sont même très jeunes et fiers de produire de la viande de qualité, provenant de bêtes qui mangent encore de l’herbe. Le contraste est saisissant quand on voit ces fameuses vaches à hublot qu’un chercheur malicieux de l’Institut national de recherche agronomique (Inra) présente à l’écran. On le voit enfourner sa main dans la panse de la vache et en retirer une mixture chaude comme s’il accomplissait un geste de chirurgien.

Il y a bien un monde entre ces messieurs des instituts de l’élevage, des chambres d’agriculture et celui d’hommes et de femmes ayant choisi de cultiver la campagne, d’élever des animaux en leur prodiguant des soins homéopathiques comme le feraient des parents aimants. Ces paysans connaissent leur métier, leur terre mais savent aussi leur légitimité. Face à eux, la loi des consortiums et des grosses sociétés alimentaires épaulés par des entreprises high tech comme le Pôle de traçabilité de Valence (Drôme) qui commercialise des puces RFID, et dont le patron nous explique les aspects commerciaux novateurs. Dans la montagne, les bergers poussent leur troupeau, renouent avec des peurs ancestrales, guident des bêtes sur des pentes abruptes. À Reillanne (Alpes-de-Haute-Provence) ou Vachères en Quint (Drôme), des éleveurs disent leur opposition à la technocratie. Ces combats contre la vaccination ovine, la fièvre catarrhale et maintenant le puçage ne font la une d’aucun grand magazine. Les régimes minceur et l’épilation du maillot remplacent la tonte. Mieux vaut ne rien savoir sur les merguez qu’on va griller cet été, sauf à connaître leur origine… en cas de pandémie ! Comme le dit cet éleveur de Limans (Alpes-de-Haute-Provence), « traçabilité ne veut pas dire qualité ». Il s’agit juste pour la filière viande de faire croire qu’on peut élever des animaux sans les traiter comme des êtres vivants, repérer un lot quand il est défectueux, et l’éliminer comme ce fut le cas pour la vache folle.

Ils font peur, ces chercheurs, avec leur mine réjouie quand ils expliquent que pucés, les ovins peuvent être détectés dès leurs premières chaleurs pour être inséminés. On ne perd pas une minute. Sitôt que l’œstrus naît chez la brebis, elle est repérée pour servir de reproductrice. Et l’Inra de travailler main dans la main avec l’industriel prêt à commercialiser le prototype conçu.

Les éleveurs qui témoignent dans ce documentaire sont tellement à part dans ce monde vendu à la marchandise qu’ils sont juste un collectif sans nom, sans syndicat. Ils ne viennent d’aucun parti. Ils veulent rester maîtres de leur vie et de leur activité comme Antoine de Ruffray ou Alain Guibert. Contre eux, il y a cette société qui veut concentrer les bêtes dans du béton, rendre l’animal viande avant d’avoir vécu.


1 Mouton 2.0 – La Puce à l’oreille, documentaire d’Antoine Costa et de Florian Pourchi, Synaps collectif visuel, 2012.

2 Jocelyne Porcher, Vivre avec les animaux, La Découverte, 2011.

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