Cronstadt, Aragon 1936-1939 et la piraterie libertaire

DANS SON ÉPASTROUILLANT L’Humanisphère, utopie anarchique (1857) réédité par Burozoïque, Joseph Déjacque définit l’utopie comme « un rêve non réalisé mais pas irréalisable ». Par exemple, le fabuleux rêve non encore réalisé du nouveau monde ludico-amoureux de Charles Fourier qui pourrait irriguer les insurrections futures. Vient de paraître à ce propos aux Presses du réel une merveille historique et graphique : Charles Fourier, l’écart absolu. Mais ce que les crapules au pouvoir et les andouilles réformistes persistent à récuser par tous les moyens, c’est le fait qu’en dehors des plus fortiches projets de réimagination de la planète, qui ne les épouvantaient pas trop tant que ce n’étaient, pour eux, que des chimères, il y a eu quelques amorces de concrétisation historique de balèzes utopies si foutrement réussies qu’on s’est empressé de les noyer dans le sang. Ça, évidemment, ça fait frémir les détritus dirigeants. Car si la révolution (abolition du pouvoir hiérarchisé, des échanges marchands, du travail obligatoire, de l’argent et de toutes formes de contrainte ou d’interdit) a vraiment été possible à un moment donné, c’est donc, mille bombardes ! qu’elle n’est pas une chimère et qu’elle peut rééclater et se répandre cette fois partout, partout.

Une poignée de livres récents nous tuyautent sur des expériences de réinvention collective et radicale de la société qui ont été menées très chouettement à bien. 1921 L’Insurrection de Cronstadt la rouge (éd. Alternative libertaire) décrit les soviets libres de marins, soldats, ouvriers révolutionnaires envoyant dinguer la dictature sur le prolétariat instaurée par Lénine (mais aussi par Trotsky qui « tirera comme des perdrix » les insurgés). L’étude sur Les Collectivités d’Aragon, Espagne 36- 39, de Félix Carrasquer (éd. CNT-RP, 2003) et celle intitulée, Un dimanche de la vie - La Révolution espagnole d’Olivier Pinalie (éd. du Monde libertaire) mettent bien en avant la satanée capacité d’auto-organisation des ouvriers et paysans en pétard, leur art de prendre en mains leurs affaires, leur respect farouche des voix dissidentes.

Deux bouquins de chez Libertalia frigoussés par Markus Rediker, Pirates de tous les pays et Les Forçats de la mer, ainsi que Bastions pirates du collectif Do or Die (Aden) et La Constituante piratesque de Mathieu Larnaudie (Burozoïque), nous acoquinent, pour leur part, avec les « zones d’autonomie temporaires » sans chefs ni gourous, sans flics ni fric, sans astreintes ni tabous, dans lesquels certains flibustiers du XVIIe et du XVIIIe siècles faisaient la bamboula entre deux abordages.

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