Le nucléaire dans le vent

Dans Le Sens du vent1 , les Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances ont fait paraître récemment une excellente synthèse sur le nucléaire, les énergies renouvelables, et l’éolien en particulier. Mais l’ouvrage verse parfois dans une critique radicale abstraite bien éloignée des révoltes telles qu’elles se déroulent dans la France des terroirs.

LE NUCLÉAIRE, on le sait, hypothèque l’avenir de l’humanité avec ses déchets qui resteront dangereux pendant des milliers d’années,sans parler du risque immédiat d’un accident majeur de plus en plus prévisible. L’éolien industriel (nous parlons ici de machines culminant à 150 mètres avec des pales de 30 mètres) que ses promoteurs voudraient présenter comme une réelle alternative au nucléaire, souffre, lui, d’un grave handicap : l’intermittence du vent. Actuellement l’éolien terrestre français tourne en moyenne à 20 % de sa puissance maximale2 et, conscients qu’il est peu envisageable d’améliorer les performances du vent, les zélateurs de l’éolien se rabattent logiquement sur une autre variable : le nombre d’éoliennes. Mais, pour remplacer la totalité de la production électro-nucléaire,il faudrait implanter plus de 100 000 engins, soit un pour 5 km2. L’ambitieux programme du Grenelle de l’Environnement prévoit d’en installer environ 7 000 de 2 mégawatts d’ici 2020, ce qui ne représenterait que 8 % de la consommation électrique, soit l’équivalent de la seule augmentation de la consommation de ces dernières années. L’éolien industriel ne peut donc être autre chose qu’une source d’énergie d’appoint.

La thèse principale d’Arnaud Michon, l’auteur du bouquin, est que les énergies renouvelables, en prétendant être des alternatives au nucléaire, jouent en réalité,dans le contexte actuel du Grenelle, un rôle idéologique consistant à camoufler et à accompagner le second souffle de la nucléarisation française. Il serait donc important, selon Michon, du point de vue d’une critique de l’industrialisation du monde, d’être aussi un anti-éolien. Et l’auteur se propose alors « d’aérer un peu les discussions “militantes” chez les anti-éoliens » en mettant en lumière « les limites de cette contestation ». Ses propos sont bâtis à partir d’informations glanées sur Internet, ce qui ne l’a pas empêché de reconnaître, fort justement, « que l’on soit ou non utilisateur de ce réseau-là, c’est de toute façon sur le terrain bien tangible de la contestation qu’il importe de venir en personne » ; mais c’est justement ce qu’il semble ne pas faire. Il faut donc faire un sort à ses allégations sur « l’émergence,depuis peu,d’une agitation à la fois antinucléaire et anti-éolienne », et sur des « résistances qui seraient apparues dans des régions rurales jusqu’ici largement épargnées par le saccage industriel, notamment en Lozère ». Non, ces mouvements d’abord anti-éoliens mais qui élargissent leur critique au nucléaire existent depuis une bonne dizaine d’années, ils sont apparus autour de projets de « fermes éoliennes » concernant principalement un « arc collinaire » – expressions des affairistes éoliens – qui s’étend de l’Aude au Vaucluse, sur des reliefs qui dominent un vignoble de masse. L’éolien n’étant pas, dans notre pays, imposé d’une manière autoritaire par l’État, mais une affaire privée, son implantation était vouée à la libre entreprise dans une totale « anarchie ». Tout dépendait du bon vouloir des élus locaux,de leur degré de corruption et/ou de leur « progressisme », et, en dernière analyse,de la résignation des habitants concernés… Bref, le fonctionnement habituel de la démocratie. Le but premier de ces entreprises était de se faire financer par la collectivité leurs études de « faisabilité », puis, si possible, de convaincre les élus de s’engager, de séduire les écologistes du coin, de conclure des baux ruraux avec les propriétaires terriens, enfin de proposer un projet clefs en mains à une société exploitante (filiale d’EDF ou d’un grand groupe pétrolier…). Et, parfois, c’était le jackpot. Mais très vite,ces projets ont rencontré de vives résistances. À la demande expresse des sociétés du vent qui voyaient leurs projets s’enliser systématiquement, l’État est finalement intervenu en créant des Zones de développement de l’éolien (ZDE) dans lesquelles les préfets pourraient favoriser la concentration de ces machines : c’était une façon de diluer les responsabilités en les transférant des maires aux collectivités locales. Les résistances récentes évoquées dans Le Sens du vent sont apparues dans ce nouveau contexte. Mais il est regrettable que l’auteur prétende juger du degré de radicalité des anti-éoliens seulement à partir de quelques écrits publiés sur Internet.

Pour revenir au « terrain bien tangible de la contestation », il faut souligner que les résistances se sont multipliées. Si certains opposants ont des motifs peu avouables tels que la valeur de leur patrimoine, la plupart veulent d’abord se défendre contre une dégradation manifeste de leurs conditions de vie. Et c’est justement parce qu’elles veulent protéger leur paysage de l’industrialisation que ces luttes locales ont su jeter des ponts vers l’extérieur en appuyant systématiquement les contestations par rapport à d’autres projets. Il est faux de dire que ces opposants sont indifférents au nucléaire. Ils sont pour la plupart devenus très vite sensibles au mensonge de l’éolien comme alternative à un nucléaire qu’ils ont eu, de gré ou de force. Le véritable rôle idéologique des énergies renouvelables réside, d’après nous, dans un double mensonge : leur capacité d’être une alternative au nucléaire, la possibilité que cette prétendue alternative puisse faire l’objet d’un libre choix démocratique. On peut se mêler à la bataille et aider à démonter ce miroir aux alouettes sans pour autant chercher à donner des leçons aux opposants dans leur action.


1 Arnaud Michon, Le Sens du vent – Notes sur la nucléarisation de la France au temps des illusions renouvelables, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, Paris 2010.

2 Ce facteur de capacité peut être vu comme le rapport,traduit en pourcen- tage, entre la production annuelle effective d’électricité de l’ensemble des éoliennes françaises et la quantité maximale d’électricité qui aurait pu être produite pendant un an compte tenu de la puissance théorique installée.

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