Cap sur l’utopie

Fais ce que veulx !

Vous vous sentez un peu flapi ? En ni une ni deux, courez chiper dans une quelconque Fnac la réédition en Poche, parue à l’Échappée en mai dernier, de l’extraordinaire Ringolevio (1972) : l’autobiographie volcanique du génial digger Emmett Grogan.

C’est l’histoire d’un ex-fricfraqueur de charme, bourlingueur risque-tout et dynamitero de l’IRA qui, de retour aux States, y lance en 1966, à 24 balais, avec quelques poteaux issus du théâtre-guérilla de rue, le légendaire « mouvement » des Diggers. Objectif des trublions : s’emparer ludiquement d’un quartier entier, le très hippie Haight-Ashbury à San Francisco, pour en faire le laboratoire d’une véritable utopie en actes. Et ça marche du tonnerre. Conviant en musique les traîne-savates du coin et d’ailleurs à devenir en trois coups de cuillère à pot les acteurs de leurs vies, les insurgés instituent burlesquement tout autour d’eux le règne de la liberté sans freins instantanée et de la gratuité totale.

Grâce à leurs réseaux rocambolesques, à leur force de conviction coluchienne, à des stratagèmes souvent étonnants et à de culottés larcins – se faisant passer pour des déchargeurs de viande de boucherie, ils embarquent, par exemple, des tonnes et des tonnes de moitiés de bœuf dans leurs camions frigorifiques –, Grogan et ses comparses distribuent chaque jour d’innombrables repas à qui veut. Ils créent bientôt des free stores où absolument tout est offert, des free clinics, des free hotels. Et ils mettent en place un réseau d’aide juridique gratuite, des cinés-théâtres, des ateliers-garages 100 % gratos en crachant au passage sur la notion même d’altruisme christique : « Nos actions ne visent pas à aider les pauvres mais à les libérer du salaire qui les asservit. »

Héritiers des diggers cul-terreux qui, en 1649, dans l’Angleterre de Cromwell, et plus particulièrement dans le Surrey, réquisitionnèrent des terres seigneuriales pour nourrir les claquedents, à commencer par eux-mêmes, les diggers ricains des années 1970 ont démontré dans l’hilarité et la défonce que la révolution contre les chefs, les règles, le fric, le travail, la résignation pouvait s’expérimenter illico.

« Everything is free, do your own thing1. »

Noël Godin

1 « Tout est gratuit, fais ton truc. »

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CQFD n°211 (juillet-août 2022)

Dans ce numéro d’été à visage psychotropé, un long et pimpant dossier « Schnouf qui peut » qui se plonge dans nos addictions, leurs élans et leurs impasses. Mais aussi : un reportage sur la Bretagne sous le joug d’une gentrification retorse, une analyse du quotidien de sans-papiers vivant « sous la menace », le récit d’une belle occupation d’usine à Florence, des jeux d’été bien achalandés, des cuites d’enfer, la dernière chronique « Je vous écris de l’Ehpad », des champignons magiques gobés avec des écrivains...

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