Intro de notre dossier sur le foot business (n°214)

Foot : couper l’immonde

En réaction, le boycott semble une évidence. Mais l’indignation à distance ne casse jamais des briques : il s’agit aussi de la penser, cette Coupe de l’immonde...
Illustration de Djaber

On a beau avoir l’estomac bien accroché à force de chroniquer les vacheries planétaires, il faut admettre que cette fois, on est un peu vaincu·es par le dégoût. Une Coupe du monde achetée par une dictature religieuse exportatrice d’hydrocarbures, qui assassine des milliers d’ouvriers étrangers pour construire en plein désert des stades climatisés, et qui organise le flicage des supporters à la démesure des moyens technologiques du XXIe siècle… C’est trop, carrément dystopique. Les JO d’Athènes 2004, Pékin 2008, Sotchi 2014 et Rio 2016, ou la dernière Coupe du monde en Russie, avaient annoncé la couleur. Mais avec l’épisode Qatar, une nouvelle étape semble franchie.

C’est trop, carrément dystopique.

En réaction, le boycott semble une évidence. Mais l’indignation à distance ne casse jamais des briques : s’agit aussi de la penser, cette Coupe de l’immonde. Et puisqu’on n’a pas les moyens d’envoyer des reporters sur place, on a décidé de se pencher sur le sujet à notre manière. Par exemple en puisant dans les ressources proposées par les passionné·es ayant participé au livre Le Grand Footoir1, qui raconte quinze matchs emblématiques des principales dérives du football contemporain. Deux de ses auteur·es nous ont accordé un entretien sans concession contre l’uniformisation et la gentrification des stades, la publicité omniprésente et la répression des groupes ultras [lire pp. 12, 13 & 14]. Nécessaire, leur livre paraît alors que les critiques débordent clairement – et enfin ! – des sphères militantes... N’oublions pas cependant que, tandis que certains se posent des cas de conscience, le monde du foot se dispose à faire le show comme si de rien n’était. La routine : en 1978, déjà, l’équipe de France n’avait pas plus hésité que ses concurrentes à jouer dans l’Argentine ensanglantée par la junte de Videla [p. 15].

À la question de savoir si le foot « était mieux avant », la réponse des auteurs du Grand Footoir est donc plutôt négative. Niveau sexisme en revanche, pas sûr que ça se soit beaucoup arrangé. « La sociographie du monde du football [est] peuplée très majoritairement d’hommes », y compris « dans ses différents domaines de recherche à l’université, dans le monde de l’édition, dans la presse écrite, à la télé, à la radio... », grincent les auteurs du Grand Footoir qui « ne s’en tire pas beaucoup mieux » : sur les dix-huit textes signés de l’ouvrage, on ne compte que deux autrices. Quant au présent dossier de CQFD ? Une autrice et deux illustratrices. C’est que s’il y des meufs sur les terrains, parler football, ça reste un truc de mecs. Et cette confiscation du sport par les bonshommes, qui joue un rôle essentiel dans la reproduction du patriarcat, commence très tôt : dès minots, une spatialisation sexiste attribue la quasi-totalité des cours de récré à leurs jeux de ballon, au détriment des filles, trop rarement invitées à les rejoindre [pp. 16 & 17]. Au bout du virilisme, le foot trimballe aussi le lourd passif de son instrumentalisation politique. Jusque dans l’horreur. Pendant la guerre en Yougoslavie, dans les années 1990, les supporters ultras des principaux clubs du pays ont joué un rôle décisif. Organisés en milices, certains d’entre eux ont multiplié les exactions [p. 18].

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Alors à la poubelle, le foot ? Pas si vite. Car loin du foot qui pue le pouvoir et le fric, de réjouissantes initiatives s’efforcent un peu partout de se réapproprier ce sport. C’est qu’à hauteur de gazon, le terrain de foot reste un lieu de choix quand il s’agit de tisser lien social et solidarités – au milieu des champs comme entre les barres. Un exemple parmi d’autres ? Le match amical organisé le 14 novembre 2021 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) par les Dégommeuses. Cette équipe féminine en lutte contre le sexisme et les LGBT-phobies a tapé le ballon avec les Hijabeuses, qui se battent pour que la Fédération française de football lève de son règlement l’interdiction de porter un foulard lors des compétitions. Un deuxième pour la route ? À quelques encablures du terrain, la Maraude mentalité virage Depé, portée par un collectif solidaire de supporters marseillais, s’est mise en tête en janvier 2020 de distribuer bouffe et kits d’hygiène aux personnes en galère dans les rues de leur ville.

Rappeler qu’un autre foot existe, qu’il est au fond largement majoritaire, et qu’il peut être un formidable levier de transformation, c’est aussi ce à quoi s’attache ce dossier, avec un focus sur le BLS 31, club de Toulouse, qui organisait récemment un tournoi dans le cadre d’un week-end « antiracisme et solidarité » [p. 17].

À l’heure où Mbappé signe le plus gros contrat de l’histoire du sport (630 millions d’euros cumulés pour trois ans de contrat) et où Neymar appelle à voter pour l’infâme Bolsonaro, arrachons-nous à l’emprise hypnotique des écrans, renouons avec le grand air : la foot-révolution ne sera pas télévisée !


1 Coordonné par Mickaël Correia (wesh gros !) et Sébastien Thibault, éditions Solar, septembre 2022.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°214 (novembre 2022)

Dans ce numéro empli de gestes techniques incroyables, un dossier sur le foot business et ses contraires : « On rêvait d’un autre foot ». Mais aussi : la grève des raffineries, le procès-bâillon de BFM TV contre le journaliste Samuel Gontier, un reportage à Lampedusa, un entretien avec le réalisateur Alain Cavalier, un point sur l’extrême droite israélienne... En enfin : un appel à soutien où l’on fait la lumière sur les comptes du journal et les mirifiques salaires de ses rares employés rémunérés…

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