Mais qu’est-ce qu’on va faire du... Citoyen-soldat 2.0
Pour le marteau, tous les problèmes ressemblent à un clou. Pas étonnant que pour Bernard Wicht1, spécialiste marteau des questions stratégiques et militaires à l’université de Lausanne, tous les problèmes ressemblent, donc, à un flingue… ou plutôt à l’absence de flingue. Car, pour résumer son analyse de la société européenne : « sans son fusil, le citoyen n’est qu’un contribuable2 ». Découvrons ensemble les finesses de cette pensée martiale.
Préparez-vous à « l’Europe Mad Max » qui vient… d’ici dix ans. D’abord, nous explique Wicht, les États-nations occidentaux ont été « incapables de s’adapter aux nouvelles conditions de la guerre » (terrorisme, guerre de faible intensité, guerre de partisans). Pour s’y adapter, il aurait fallu qu’ils s’appuient sur « les populations nationales » au lieu de quoi, ces États n’ont eu de cesse de les désarmer, de les surveiller, de les ficher, de les contrôler et de leur faire payer l’impôt. De surcroît, ils ont abandonné l’armée de conscription, celle des citoyens-soldats, pour une armée professionnelle, voire privée. Voilà l’État qui périclite, se délite et perd son élite… Et finit vidé de sa substance « démocratique et républicaine » pour se replier sur ses « fonctions pénales et carcérales ». C’est alors que, pour notre arbalète helvète, l’Europe plonge soudain dans un « nouveau Moyen Âge » ! Des bandes armées (mafias, gangs, cellules islamistes) font régner la terreur, non pas à des échelles nationales, mais locales, transversales, en réseaux. Grosso modo, c’est Daech dans le Limousin et les zones tribales afghanes en Haute-Loire.
Mais qu’on se rassure, car c’est là que les braves citoyens locaux vont reprendre leur fusil et s’organiser en communautés autonomes, faisant valoir leur « droit naturel à l’auto-défense », concept fondamental chez Wicht. Les vieux États-nations seront vaincus par ce « darwinisme politico-stratégique » qui ne laissera survivre que les plus adaptés. Que ce soit une bonne ou une mauvaise nouvelle, peu importe : il faut se préparer à ce « nouveau Moyen Âge » parce que, de toute façon, il arrive. Au point que Wicht nous encourage à préparer d’ores et déjà une « deuxième ligne de défense » (après celle de l’État bientôt transformée en gruyère) pour faire face au danger de « l’Apocalypse islamiste » : « Seuls un petit nombre de citoyens sont en mesure de réagir parce qu’ils ont conscience du danger et de l’état de délitement social dans lequel nous vivons. Le moment venu, ce sont eux qui chercheront à reprendre l’initiative, à organiser les gens qui les entourent pour assurer leur sécurité, à créer de petites coopératives pour garantir les biens et services de première nécessité… comme c’est d’ores et déjà le cas au Mexique dans les unités d’autodéfense ou dans les cantons kurdes en Syrie-Irak.3 » Et il imagine même la mise en place de « Swissbollah » : sorte de mix entre l’autonomie communale des confédérés suisses et la discipline militaire des milices chiites du Sud-Liban !
Bon, évidemment, Wicht laisse totalement de côté dans sa démonstration tous les enjeux économiques de l’Europe contemporaine… sauf pour en dire n’importe quoi ! « On fait la guerre comme on produit les richesses », assure-t-il. Alors, avec la révolution numérique de l’information, considérée comme « le troisième changement d’outil de production » (après la révolution néolithique ou l’invention de l’agriculture et la révolution industrielle ou l’invention de l’agriculture en conserve), Wicht imagine la venue au monde du « citoyen-soldat 2.0 » qui, à l’image de l’internaute, sera autonomisé et en réseau, « non plus consommateur mais acteur et producteur ». Démonstration imparable. Sauf qu’évidemment personne n’a encore pu faire pousser des choux sur Internet ni construire une maison avec une application d’i-Phone… Au contraire, la « révolution numérique » parachève la centralisation des outils de production (usines monstres, concentration des plateformes ubérisés, googlelisation, etc.).
In fine, le « citoyen-soldat 2.0 » de Wicht ne ressemble à rien d’autre qu’à ces gros survivalistes ricains qui stockent des canettes de bière et des cartouches de fusil en attendant l’apocalypse. Derrière le discours de « restauration de la cité » qu’il affectionne, c’est surtout vers les idéaux de respect du chef, d’honneur et de fidélité (il aime à citer Fight Club mais aussi le nazi-friendly Jünger) que Wicht se tourne. En tout cas, quand le Moyen-âge reviendra, ce n’est pas avec ce genre de marteau-là que nous construirons nos châteaux en Espagne.
1 Wicht est l’auteur d’Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne, Favre, Lausanne, 2013 et l’année dernière L’avenir du Citoyen-Soldat, Le Polémarque, Nancy.
2 Toutes les citations, sauf mention contraire, sont tirées d’une interview de Wicht dans Défense et Sécurité Internationale, n°120, décembre 2015.
Cet article a été publié dans
CQFD n°140 (février 2016)
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Paru dans CQFD n°140 (février 2016)
Dans la rubrique Mais qu’est-ce qu’on va faire de…
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Mis en ligne le 05.07.2018
Dans CQFD n°140 (février 2016)
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