Place Guérin forever

Brest : l’Avenir, c’était mieux avant ?

Deux mois après la démolition de la salle de quartier autogérée qu’il défendait, le collectif Pas d’avenir sans Avenir organisait mi-septembre une kermesse sur la place Guérin, à Brest. Si le choc de l’expulsion a été rude, la détermination, elle, reste intacte.
Illustration de Manon Raupp

Samedi 16 septembre, place Guérin, quartier Saint-Martin, Brest. La kermesse organisée par le collectif Pas d’avenir sans Avenir bat son plein. Une chorale chante la résistance au milieu des rochers installés par la municipalité pour interdire l’accès au site de l’Avenir, espace autogéré démoli deux mois plus tôt par les autorités. La vie reprend malgré tout ses droits sur la place, où une friteuse tourne à plein régime à l’abri d’un barnum. Sous les tilleuls, des bottes de paille sont prêtes à accueillir nos fessiers. Plus loin, un groupe bricole des bancs destinés à remplacer ceux que la mairie a confisqués parce qu’ils avaient servi de barricades. « Guérin, ivre face à la bourgeoisie », peut-on lire sur une banderole tendue entre les arbres. Un slogan teinté d’ironie qui résume l’histoire d’une place festive et populaire, en butte à l’horizon policé imposé par la municipalité1 .

Lutte historique pour une salle de quartier

Au centre de la discorde, la salle de l’Avenir, construite par le diocèse en 1898 sur la jeune place Guérin pour accueillir les activités du patronage catholique. Un siècle plus tard, elle sert de salle de théâtre ou de cinéma, mais reçoit aussi le loufoque Comité des fêtes de la place Guérin, avant d’être rachetée par la Communauté urbaine de Brest en 2002. À cette époque, l’association des Amis de la place Guérin et de ses alentours s’inquiète déjà de plusieurs projets municipaux menaçant le caractère populaire du quartier. « Les gens avaient commencé à se rencontrer. C’est à ce moment-là que se sont greffées un certain nombre d’asso, préoccupées par l’état de l’Avenir », se souvient l’ancien bouquiniste de la place. Elles en réclament la rénovation, unies sous la bannière du collectif « Quel Avenir ? ».

L’Avenir, construit en matériaux de récup’, n’a presque rien coûté, et s’ancre toujours plus dans les usages

Le conseil municipal opte pour sa démolition, effective en 2010, tout en s’engageant à financer un bâtiment neuf. Puis silence radio jusqu’en septembre 2015, lorsque des élus annoncent que l’équipement de quartier promis sera finalement remplacé par un projet immobilier porté par le promoteur Lamotte. « On a totalement pourri la réunion et dès le lendemain, on lançait une pétition. Ça a fait comme une traînée de poudre dans le quartier », poursuit le libraire. La semaine suivante, une assemblée chauffée à blanc décide de la création d’un nouveau collectif, Pas d’avenir sans Avenir2. Sa première action ? Investir le terrain vague qu’est devenu le site. Le projet Lamotte est abandonné en 2016, sans que la mairie ne manifeste l’intention de revenir à son projet initial. À l’automne 2017, le collectif s’attelle donc à la construction d’une salle en dur. Un hangar agricole des environs et un ancien four à pain sont remontés sur place. Des élus reviennent à la charge à l’automne 2018 avec un projet de crèche. L’accueil est mouvementé, l’idée enterrée sans même avoir été présentée. Au fil des années, la salle de quartier autogérée se dote de murs en terre-paille, d’un magnifique pignon vitré et d’un parquet de qualité. L’Avenir, construit en matériaux de récup’, n’a presque rien coûté, et s’ancre toujours plus dans les usages.

Un espace réfractaire à l’ordre marchand

Entre le manque d’espaces d’organisation et le casse-tête de l’accès aux salles existantes, l’Avenir joue pendant 7 ans un rôle essentiel à Brest. Rendez-vous de tout ce que le coin compte de réfractaires à l’ordre marchand, le lieu enracine une résistance salutaire dans un centre-ville en proie à la gloutonnerie des investisseurs et aux pulsions sécuritaires de la préfecture. L’usage est au prix libre, garantissant l’accessibilité des soirées proposées. Les assemblées hebdomadaires ouvertes s’occupent de coordonner des événements aussi variés que nombreux : concerts rap ou punk, soirées electro ou dub, festoù-noz, festival d’impression, mais aussi distributions alimentaires, réunions de collectifs divers, jardinage, boxe, conférences… CQFD y a même fêté ses 15 ans, en juin 2018 !

L’Avenir devient aussi un espace où ceux rejetés partout ailleurs retrouvent un semblant de vie sociale

L’Avenir devient aussi un espace où ceux rejetés de partout ailleurs retrouvent un semblant de vie sociale. Ce qui ne va pas sans difficultés pour celles et ceux qui, attachés à faire vivre le lieu, se confrontent aux épineuses questions soulevées par une présence quotidienne de la misère. « Du travail social qui aurait dû incomber à la mairie », estime Évelyne*, membre du collectif. Le lieu a beau foisonner, il n’en reste pas moins précaire. Et c’est dans ce contexte qu’en décembre 2020, deux nouveaux conseillers municipaux, Yohann Nédélec et Gwendal Quiguer3, promettent une « main tendue » en direction du collectif.

Une médiation « sous les bombes »

Les deux élus affirment que la préfecture a l’Avenir dans le collimateur et se proposent de trouver au lieu un cadre légal acceptable pour toutes les parties. Évelyne participe à la première rencontre : « Ils ont dit qu’ils étaient ouverts à toute forme juridique, quitte à innover. Ils avaient l’air sincère à l’époque. » Mais l’affaire sent l’entourloupe quand Yohann Nédélec annonce publiquement vouloir faire de l’Avenir « un espace cogéré, construit de façon collaborative, ouvert sur la ville, un lieu de passage urbain ». En clair, un « tiers-lieu » 4 branchouille, à mille lieues des besoins du quartier5.

Le collectif peine à trouver une position commune sur l’attitude à adopter face à la mairie, tandis que les débats internes absorbent une bonne part des énergies. Cette inertie pousse la ville à payer des médiateurs extérieurs, avec l’objectif d’avancer sur la mise aux normes du site. Et puis, en juin dernier, patatras  : les membres de l’Avenir zappent accidentellement un courriel des conciliateurs. Yohann Nédélec se saisit de ce couac pour mettre le couteau sous la gorge du collectif. Il exige l’arrêt de ses activités « jusqu’à nouvel ordre » et la désignation de responsables juridiques. Difficilement admissible, tant pour l’Avenir que pour les médiateurs. « La médiation sous les bombes ressemble plus à de la reddition et ce n’est pas le genre de la maison », indiquent ces derniers dans un courriel adressé au collectif.

Tout se précipite le 27 juillet. Bien informée, une centaine de soutiens de l’Avenir se retrouvent de bonne heure sous le crachin brestois. L’entrée du site et les deux côtés de la rue sont lourdement barricadés. Pourtant, lorsque vers 7 heures les gendarmes mobiles noient la place Guérin de lacrymos, il n’y a plus grand-chose à faire. Les affrontements sporadiques qui suivent n’y changent rien : le fruit de huit années d’intense travail collectif est saccagé en quelques heures.

Se réinventer pour résister

 À la violence du choc s’ajoute l’obscénité de la com’ officielle. Le jour même, la métropole communique sur une future « concertation pour le devenir de ce site et le rôle qu’il pourrait avoir en termes d’animation et d’attractivité pour les habitants du quartier  ». Quelques associations triées sur le volet reçoivent des courriels en ce sens.

La kermesse organisée en cette mi-septembre se veut précisément une réponse à cet incroyable mépris. Après un samedi soir de fête enflammée, il s’agit de discuter de la suite, alors que le prix des loyers, les menaces de fermeture administrative pesant sur les bistrots les plus turbulents et l’arrivée annoncée de la vidéosurveillance creusent un fossé entre riverains et usagers de Guérin. La singularité de la place tend à s’effriter. Reste au collectif à trouver de nouvelles manières de la réinventer.

Par Damien Le Bruchec

* Prénom modifié


1 « Brest : Saint-Martin face à la gentrification  », CQFD n°167 (juillet-août 2018).

2 Plus d’informations sur le blog du collectif : avenir-brest.fr

3 Respectivement adjoint PS au maire de Brest en charge de la tranquillité urbaine, et conseiller municipal EELV en charge de la participation et des initiatives citoyennes, de l’innovation sociale et des communs.

4 Dans le jargon startupeur, un tiers-lieu est un espace physique ouvert avec des activités hybrides. Il sert souvent de parenthèse « sexy » pour transformer des lieux alternatifs en outils d’aménagement marchand du territoire.

5 « Brest : la gentrification se pare de vert », CQFD n°201 (septembre 2021).

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Cet article a été publié dans

CQFD n°223 (octobre 2023)

Ce numéro 223 inaugure notre nouvelle formule et n’a pas de dossier thématique. Ceci dit, plusieurs articles renvoient à un même thème, celui d’une France embourbée dans ses vieux démons. On y refait l’histoire de la stigmatisation du voile à l’école, on y raconte comment la parole xénophobe la plus crasse s’est libérée autour des arrivées à Lampedusa, on y parle de squats expulsés et d’anti-terrorisme devenu fou... Bref, on passe la France au scalpel et ça pue pas mal. Heureusement tout un tas de chouettes chroniques et recensions viennent remonter le moral !

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