L’Avenir d’une erreur
Brest : Saint-Martin face à la gentrification
« On n’est pas bien là ? » L’anniversaire du Chien rouge s’est déroulé à Brest, dans un espace arraché à un sinistre projet immobilier de la métropole du Ponant. Des logements privés et « bunkérisés » tournant le dos à la place Guérin, véritable cœur du quartier Saint-Martin. Au passage, les élus locaux en avaient profité pour enterrer leurs promesses maintes fois réitérées de bâtir un équipement collectif au profit des activités associatives.
L’Avenir, c’est son nom (en référence à celui de l’ancienne salle de quartier qui fut rasée), est un terrain de plus de 1 300 mètres carrés, occupé illégalement depuis deux ans à la manière d’un centre social italien, allemand ou catalan, tout en rappelant l’esprit des Maisons du peuple. Un vaste hangar a été édifié collectivement sur une partie du terrain, afin de protéger les têtes contre les rares épisodes pluvieux – deux seulement pour la journée en question... D’un four à pain construit dans les règles de l’art et du savoir-faire partagé (ses briques pluriséculaires ont été minutieusement prélevées de la cave d’une ancienne boulangerie du quartier, esprit manifeste d’un patrimoine vivant) rayonne à chaque fournée collective la chaleur du Pain des rêves1. Un bar-cuisine-salle de réunion, intégralement fabriqué à partir de matériaux de récup’, a pris place près de l’entrée. Le lieu est fermé la nuit pour se prémunir de toute tactique de pourrissement qui pourrait être fomentée par les autorités2. Et l’endroit est entretenu, avec entre autres des jardinières pour les plantes et des chiottes sèches pour les humains. Très loin du dépotoir de carcasses de bagnoles qui sévissait avant l’occupation.
L’endroit rêvé pour causer des résistances à la gentrification. C’est Claude qui prend la parole pour le collectif brestois : « Ici, l’opération de rénovation urbaine de la mairie s’appuie sur une vision du quartier centrée sur la seule dimension économique. Et pour faire avancer son projet, elle va utiliser une stratégie classique de division en opposant les groupes sociaux entre eux et les générations entre elles. » C’est ce sempiternel « diviser pour mieux régner » qui est à l’œuvre avec la sortie des cartons d’un nouveau projet, à savoir une crèche privée, des locaux d’accompagnements sociaux sur trois étages – dont le dernier pour le siège social du porteur du projet, avec parking privatif (ça, c’est cadeau !) – et une salle polyvalente attenante réduite à 70 mètres carrés. Après les petits vieux, les petits enfants ! Qui pourrait légitimement s’opposer à la construction d’une crèche ? Le besoin d’un tel aménagement n’est-il pas permanent ?
Raffinement politicien, le projet n’est pour l’instant qu’à l’étude3. Mais constitue de fait une menace que les autorités métropolitaines font peser sur le développement d’activités à plus long terme par la population elle-même autant qu’un moyen de tester la cohésion du collectif. Pour le moment, les commerçants et riverains de la place Guérin sont plutôt contre toute proposition excluant les « forces vives » du quartier. Ils soutiennent dans l’ensemble les initiatives fleurissant sur le site. Ne serait-ce qu’en mémoire du combat victorieux contre un programme immobilier qui a fait l’unanimité contre lui. Mais qui aurait quand même vu le jour sans la résistance du collectif et sans sa capacité à rassembler. Il y a donc là une base solide pour relancer la mobilisation contre cet éventuel nouveau projet de privatisation de l’espace public.
Question de respect
Claude again. « Une fois la machine mise en route, une fois que les gens construisent et partagent, les élus prennent peur. » Les personnes impliquées dans l’Avenir l’assurent : la responsabilité collective fonctionne très bien. « Quand nous organisons un concert le week-end, nous arrêtons le son à minuit. Et une heure plus tard, le public a quitté les lieux. » Mais les gens de l’Avenir préparent aussi l’événement en amont : « Deux semaines avant, on fait le tour des boîtes aux lettres des riverains, pour les informer de la soirée et les y convier. Et nous recourons à la presse locale pour annoncer la venue d’auteurs, les projections de soutien, les fournées de pain, la braderie... Enfin, des associations de quartier ou d’autres collectifs peuvent aussi organiser des événements ici. Comme les quinze ans d’un journal, par exemple… » Le fait qu’il n’y a pas ou peu de nuisances relevées par de fâcheux procéduriers depuis le début de l’occupation a participé à instaurer un rapport de confiance et de reconnaissance. Le lieu semble même être entré dans les « mœurs » brestoises, celles du quartier Saint-Martin et de la place Guérin.
« Il est essentiel que la mise en mouvement collective respecte les individualités, les différences de point de vue, de compétence ou de disponibilité », ajoute Claude, décidément intarissable. Un autre participant à l’aventure de l’Avenir fait écho à ses propos. En mode taquin : « Pourquoi ne pas solliciter le budget participatif de 500 000 € mis en place par la mairie ? On pourrait enfin boucher les trous dans le toit et faire un peu d’isolation... ». Et l’assemblée de lui répondre aussitôt : « À condition d’en discuter collectivement. 4 »
Fin des débats, place aux concerts. Endiablés. Mais qui ont pris fin vers une heure du matin, comme prévu. Un peu avant, un vent de nervosité s’était emparé de l’équipe : la police déployait des effectifs conséquents sur la place. Pour stopper les moulinets de sabre d’un ninja tout droit sorti d’un fait divers du Télégramme de Brest. Une autre erreur dans la froide rationalité économique de ce vieux monde.
1 Roman de l’écrivain breton Louis Guilloux, publié en 1942 aux éditions Gallimard.
2 La place Guérin étant un lieu de deal connu à Brest, les occupants du lieu doivent prendre garde à ne pas donner prétexte à une descente policière.
3 Il a été débattu le 14 juin, lors d’une séance houleuse du conseil municipal, pendant laquelle le maire s’en est pris aux « quartiers » qui commencent à l’énerver sévère !
4 Les enregistrements des débats par radio Pikez seront bientôt disponibles en ligne sur Radio Pikez.
Cet article a été publié dans
CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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Paru dans CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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Mis en ligne le 11.09.2018
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