Dossier « Quand la musique cogne »
Bayram, musicien et danseur kurde : « Ce n’est pas un vrai travail ! »
« Vers l’âge de 12 ans, à Diyarbakir [Sud-Est anatolien], j’ai commencé à l’école à faire de la danse folklorique kurde qui se fait au son du dawul et de la zurna, un genre de flûte. J’ai sympathisé avec le dawul, une grosse caisse avec une baguette fine d’un côté, une baguette un peu plus épaisse de l’autre. Pendant les pauses, j’allais voir les mertep (musiciens gitans), pour leur demander si je pouvais l’utiliser. À la même époque, le soir, je cherchais des mariages, parce que chez nous il n’y a pas besoin d’être invité dans les fêtes. Tu peux y aller comme ça “bonjour, bonjour”. Tu rentres dans l’équipe de danseurs et tu peux danser tant que tu veux. Les musiciens me demandaient de ramasser l’argent que les gens leur jetaient. C’est à ce moment là que j’ai pris contact avec les groupes de musique et petit à petit j’ai touché aux percussions, la darbouka notamment. » Mais, à cette époque là, l’activité musicale était dépréciée par la société conservatrice kurde. « J’ai subi ça. Mon père me frappait et me disait “Pourquoi tu fais de la musique ? Ce n’est pas un vrai travail ! La musique, c’est pour les gitans… ” »
Bayram pratique également le daf, qui n’a fait son retour que récemment dans la musique kurde après avoir été longtemps délaissé. « C’est un des plus anciens instruments kurdes, très populaires chez les Kurdes d’Iran… Nous, on l’appelle arbane. Certains instruments, comme le daf ou le dawul, étaient mal vus encore récemment, car ils étaient joués dans la rue par les aveugles, les mendiants ou les gitans. J’ai croisé le daf la première fois, alors que mon père vendait des produits dans la rue, on voyait de temps en temps une personne aveugle qui en jouait et en échange les gens lui apportaient du boulgour, du riz, des lentilles corail. Seulement voilà, les Kurdes sont un peuple pauvre, ils n’ont pas de temps pour ça, ils travaillent treize ou quatorze heures par jour pour leur famille… Ils n’avaient pas d’instrument. C’est le PKK qui a remis en valeur la musique et la danse kurdes, en même temps qu’il menait le combat pour la reconnaissance de la langue. »
Bayram constate très tôt que l’engagement dans la vie culturelle kurde est d’abord politique. Dans sa guerre d’assimilation, le pouvoir turc a voulu éradiquer toute expression culturelle qui n’entre pas dans les schémas de l’identité turque : « À Istanbul, j’ai continué de fréquenter les cercles de danse kurde, ce qui m’a valu plusieurs arrestations. Je ne trouvais pas ma place dans la société turque, parce que je devais mettre un masque, dire que j’étais turc et vivre comme les Turcs en délaissant mon activité culturelle. »
Cette répression contre la musique kurde a fait l’objet d’un documentaire de Mylène Sauloy de 2001. Quand le chant va-ten- guerre ouvre sur l’enterrement au Père-Lachaise en 2000 du chanteur d’origine kurde Ahmet Kaya, qui avait choisi l’exil, puis entraîne le spectateur dans un voyage au coeur de la résistance des musiciens kurdes en Turquie. Au moment de la sale guerre des années 1980-90, la simple possession d’une cassette de chants kurdes pouvait vous mener en prison.
Fuyant la répression qui perdure, Bayram arrive en France à 23 ans avec le statut de réfugié politique. En 2008, à Marseille, il forme avec ses amis Agit, Mahmout, Omer, Apo et Serdar le groupe QWX, qui est devenu depuis peu Awazin Raperin. « J’apprécie de jouer dans des styles et des rythmes différents, même si le fond, la base, le mur porteur, ce sont les rythmes kurdes. On utilise aussi le rythme du hip-hop, mais on n’oublie pas le delilo, le rythme 2/4/2. C’est le rythme typique kurde, de même que le 6/8. Pour moi bien sûr, l’identité musicale kurde est très forte. J’arrive à comparer aussi les musiques kurdes iraniennes, syriennes, irakiennes, on a tellement de richesse à travers ces quatre pays. » Il joue aussi au sein de trois autres groupes, par passion pour la musique et pour subvenir à ses besoins, « parce que la variété des styles m’intéresse aussi ».
Son engagement ne s’arrête pas là, Bayram participe comme il peut aux activités de l’association des Kurdes de Marseille, en donnant des cours de danse bénévolement : « Mais ça prend beaucoup de temps. Je suis dans le système capitaliste, je loue un appartement, j’ai un fils, je dois nous nourrir. Ils étaient d’accord pour me payer, mais finalement, après deux jours de réflexion, j’ai compris que ça me fait profondément mal de les faire payer. Je leur ai dit “Non, je ne veux pas d’argent, avec vous, je ne peux pas”. »
Pour Bayram, c’est une évidence que la musique kurde est porteuse d’un message : « Avec Awazin Raperin, on choisit un message à transmettre pour le Rojava, pour Kobané. On a trois thèmes principaux : la politique, la nature et l’amour. Souvent les gens viennent après le concert me demander “Quel est l’origine de cet instrument ?” Mon message commence là : “Je suis kurde, mon instrument est kurde…” »
Cet article a été publié dans
CQFD n°150 (janvier 2017)
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Paru dans CQFD n°150 (janvier 2017)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Benoit Guillaume
Mis en ligne le 21.09.2019
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