Dossier « Quand la musique cogne »
No future… for you !
Alors voilà, le punk a quarante piges. 1977 ou 1976, ou peut-être même 1975, peu importe. L’heure est à la commémoration, radio nostalgie à fond les ballons. Pourtant, à en jacter au passé, y a comme une erreur de conjugaison : « le punk est quadra » devient « le punk c’était y a quarante ans » au prisme des médias. Déclaré mort et enterré le keupon, souvent par ceux-là même qui en croquent à coups de conférences et d’autocélébrations payables en droits d’auteurs.
Tiens, c’était dans le Rock&Folk de novembre 2016 (tu sais, le magazine rock qu’a tout loupé à l’époque). La Sainte Trinité des soixante-huitards de 77 : Patrick Eudeline (ex-Asphalt Jungle), Éric Tandy (ex-Olivensteins), Marc Zermati (ex-disquaire et promoteur). L’interview, complaisante davantage que plaisante, pourrait se résumer à la formule qui y revient le plus souvent, « Moi, je ». Moi j’étais là avant ; moi j’ai inspiré Joe Strummer ; moi j’ai fait ci, moi j’ai fait ça. Et après moi le néant.
« Pour moi, le punk c’était plié après 1978 », {{}}résume Eudeline. « De toute façon, pour oser se revendiquer du punk après 1978, fallait être totalement imposteur », renchérit Zermati.
Et quand l’interviewer (Philippe Manoeuvre évidemment) demande « Même les Bérus ? », Zermati précise : « Le mouvement alternatif n’est pas le mouvement punk ! » et Eudeline enfonce le clou (du cercueil) : « On ne va pas reprocher à des gens de pas avoir eu 18 ans en 1976. Il y a des gens qui viennent à la bonne époque, d’autres non. C’est comme ça. » Il est gentil. Et si ces arguties te filent pas l’envie de leur éclater la chetron à coups de tessons, t’es un maître zen.
Mais c’est pas fini. Le Manoeuvre insiste : « Pensez-vous, messieurs, qu’on pourra un jour voir ressurgir un nouveau mouvement de jeunesse rock ? » Zermati de répondre : « Ça aurait dû arriver depuis longtemps, mais on ne voit rien. Il ne se passe rien, les jeunes ne feront plus rien. »
La cécité expliquée par l’aveugle
Pourtant, le même conclut par un hommage à Malcolm McLaren (manager et fossoyeur des New York Dolls et des Sex Pistols) : « Un mec super important […] qui a réussi à exploser les médias et à faire du mouvement punk un truc qui, quarante ans après, existe encore alors qu’il aurait dû durer deux ans et être complètement oublié. » Faudrait savoir.
Le reste de l’entretien est à l’avenant. Entre souvenirs auto-hagiographiques et anecdotes autocongratulatoires. Ou comment faire du vieux avec du (pourtant toujours) neuf.
Nevermind the bollocks
Oh, on va pas polémiquer sur ce qu’ils ont réellement accompli les papys, ni sur le fait qu’ils furent dans les premiers rangs au début de la « grande escroquerie du rock’n’roll ». Bravo, super. Tenez, une médaille en capsule de Valstar, c’est mérité, si si. Mais bordel, après toutes ces années à faire fructifier leur période de défonce post-adolescente, c’est tout de même triste que ces bouffons (ou ces traîtres, j’hésite) n’aient su piger que le punk n’est pas mort quand ils ont cessé de s’y intéresser ! Bien au contraire.
Au Royaume-Uni, on ne compte pas les groupes qui ont poussé le bouchonhors des limites spectaculaires de la toute première génération : Poison Girls (1976), Crass (1977) et les activistes anarchopunks ; Angelic Upstarts (1977), Cockney Rejects (1979) et la oi ! de prolos (dans la lignée de Sham 69 formé dès 1976) ; The Specials (1977) et le revival ska ; The Meteors (1980) et le psychobilly ; The Redskins (1981) et la connexion soul ; Stiff Little Fingers (1977) et la vague irlandaise…
Pareil aux States avec Black Flag (1976), Dead Kennedys (1978), Big Boys (1979), Minor Threat (1980)…
En France, la scène va prendre de l’ampleur avec La Souris Déglinguée (1976), OTH (1978), Camera Silens (1981) ou The Brigades (1982) qui fonderont Rock Radical Records, futur Bondage… Et le Pays basque (Eskorbuto en 1980, Las Vulpess en 1982), l’Allemagne (Die Toten Hosen en 1982), le Japon (The Stalin en 1980)… Listes évidemment non exhaustives !
Le punk a essaimé partout, jusqu’en Indonésie, en Iran ou au Kazakhstan (voir les salutaires compilations du label internationaliste Tien An Men 89 Records). Déjà protéiforme à la base, il a mélangé tout un tas de rythmes et d’influences (bah ouais mon gars, les Beastie Boys c’est aussi du punk !), brisé des murs et bousculé des régimes à l’Est comme à l’Ouest, en Pologne comme en Chine. Sans oublier les milliers de fanzines, de labels alternatifs, de collectifs qui bougent les lignes face au sexisme, aux fascismes et au grand Capital (celui-là même qui réédite Clash et Pistols en vinyls « vintage » de 180 grammes).
Le fait est qu’aujourd’hui, partout en France, des punks qui n’ont pas eu la chance d’être au concert des Damned organisé par Zermati à Mont-de-Marsan en 1977 ravalent leur honte et montent des groupes et/ou organisent des fiestas à prix libre dans force squats et trocsons. Là, on peut sauter partout devant des combos colombiens ou bretons sans risquer de bousculer Manoeuvre ou Eudeline car, de mémoire de keupons, on les y a jamais vus.
Cet article a été publié dans
CQFD n°150 (janvier 2017)
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Paru dans CQFD n°150 (janvier 2017)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Mis en ligne le 21.09.2019
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