CQFD

Sont-ils toujours des Juifs allemands ?

Antisémitisme et gauche radicale


paru dans CQFD n°160 (décembre 2017), rubrique , par Charles Jacquier
mis en ligne le 26/01/2018 - commentaires

En France, depuis le début des années 2000, la question d’un retour de l’antisémitisme a été plusieurs fois évoquée. Souvent dans des contextes dramatiques, comme lors de l’assassinat d’enfants juifs dans une école de Toulouse en 2012. Sauf que le débat a été le plus souvent caricatural, voire faussé. Pour les uns, on assistait à un retour massif de l’antisémitisme – certains annonçaient même une prochaine « Nuit de cristal », en référence aux pogroms des 9-10 novembre 1938 fomentés par l’État et le parti nazis... Et toute critique de la politique du gouvernement israélien se trouvait assimilée à de l’antisémitisme pur et simple. Pour d’autres, c’était suivant la formule consacrée « Circulez, il n’y a rien à voir ! », comme si les tueries de Toulouse ou de l’Hyper Cacher n’avaient que peu (ou pas) à voir avec un antisémitisme aussi rabique que meurtrier.

Récusant ces deux approches, que l’on pourrait symboliser par l’opposition médiatique entre les deux Alain, Finkielkraut versus Badiou, l’auteur de Sont-ils toujours des juifs allemands ? – La gauche radicale et les Juifs depuis 1968 (aux éditions de l’Arbre Bleu) remonte loin. Robert Hirsch débute en effet son analyse par une plongée dans le XIXe siècle, celui de l’antisémitisme comme « socialisme des imbéciles » et de l’affaire Dreyfus. Puis il passe au XXe et évoque les relations entre les Juifs et la gauche radicale, le rapport à la Seconde Guerre mondiale (fondamental pour la génération de la guerre et de l’immédiat après-guerre), l’analyse du génocide, la question du négationnisme, et enfin le rapport de la gauche radicale à l’État d’Israël depuis sa naissance.

Les deux derniers chapitres, sans doute les plus intéressants, examinent les fluctuations de l’antisémitisme dans la société française de 1968 à nos jours. Robert Hirsch montre bien que, considéré dans l’après-1968 comme un vestige du passé, celui-ci affleure néanmoins dans les années 1970, suscitant la vigilance de la gauche radicale. Avant d’effectuer son retour durant les années 1980, avec l’ascension du FN. Les années 2000 marquent, quant à elles, l’apparition d’un nouvel antisémitisme, notamment symbolisé par l’assassinat d’Ilan Halimi ou par la manifestation « Jour de colère » (Paris, 26 janvier 2014), lors de laquelle des milliers de personnes ont crié « Mort aux Juifs » dans la capitale, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale [1]. Un nouvel antisémitisme qui cohabite avec ses formes plus anciennes, suscitant nombre de débats. L’ouvrage est complété par des témoignages de militants passés, pour l’essentiel, par la Ligue communiste.

Bien informé, jamais manichéen, ce livre n’est pourtant pas exempt de critiques. D’abord sur son statut même  : s’agit-il d’une étude académique ou d’un ouvrage militant ? L’auteur est présenté comme professeur agrégé dans le secondaire, docteur en histoire et chargé de cours à Paris XIII jusqu’en 2006, mais c’est « du sein de la gauche radicale » qu’il écrit son ouvrage – plus précisément après un long passage dans les rangs de la Ligue communiste révolutionnaire… Pourquoi parler de « gauche radicale » quand il s’intéresse principalement aux organisations trotskistes ? Celles-ci sont certes les seules à avoir perduré depuis 1968 et, au moins pour deux d’entre elles, à présenter régulièrement des candidats aux élections. Mais la « gauche radicale » ne se résume sûrement pas à elles. Et c’est peu dire que les groupes anarchistes et leur presse n’occupent que la portion congrue de cet ouvrage. Sans parler de l’ultragauche, seulement évoquée dans la naissance du négationnisme, alors qu’on ne peut la réduire aux errements de quelques individus qui ne représentent qu’eux-mêmes et n’ont plus rien de commun avec ce courant depuis des décennie [2].

Malgré ces réserves, ce livre a le mérite de proposer une synthèse utile sur un sujet qui suscite passions et controverses. Laissons la conclusion à Janette Habel, qui livre une interrogation essentielle  : « Pourquoi faut-il se battre aujourd’hui pour qu’une mention spécifique soit faite de l’antisémitisme dans certains milieux d’extrême gauche ?  »


Notes


[1Sur le sujet, voir « En France, l’antisémitisme ’’ du quotidien ’’ s’est ancré et se propage », article mis en ligne sur le site du Monde le 02/11/17.

[2sIl s’agit de la dérive antisémite et négationniste, au cours des années 1970, de quelques figures de l’ultragauche, membres du collectif de la Vieille Taupe.



1 commentaire(s)
  • Le 26 janvier 2018 à 23h27, par Jérémy -

    Le titre sous forme de question est un contre-sens. Les "Juifs Allemands" ne sont pas aujourd’hui des victimes en tant que groupe ethnique/religieux. Aujourd’hui, si l’on veut faire honneur à celles et ceux qui se disaient "Juifs Allemands" par solidarité, on se dirait "sans papier". Bien sûr qu’il faut lire avant de juger, mais ne pouvant tout lire ni lire tout le temps, je juge que ce titre ne présage rien de bon pour un énième bouquin sur l’antisémitisme.

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