Critique des industries culturelles
Des grains de sable dans la méga-machine
Parmi les géants mondiaux des industries culturelles, on compte Time Warner, Viacom, Walt Disney Company (États-Unis), Bertelsmann (Allemagne), Vivendi (France) et Sony Corporation (Japon), auxquels il faut ajouter de nouveaux acteurs issus de l’Internet comme Netflix ou Amazon Prime Video. Le secteur est ainsi largement dominé par les États-Unis, mais la France n’est pas en reste : « Le monde de la culture [y] pèse plus lourd que l’industrie automobile », représente 1,3 million d’emplois (soit le double de cette dernière) et près de 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires1. Et personne n’échappe à ces industries qui génèrent du cash et formatent les esprits.
Pourtant, certains ne se résignent pas à leur domination et se livrent à une critique sans concession de leurs productions. Ainsi, il y a dix ans, un volume collectif intitulé Divertir pour dominer – La culture de masse contre les peuples (L’Échappée, 2010) s’était livré à un examen roboratif du « lavage de cerveaux » télévisuel et de la publicité. On y trouvait aussi une critique de l’idéologie sportive et de l’horreur touristique. Le livre se voulait dans le sillage des écrits situationnistes et des analyses de l’École de Francfort2. Aujourd’hui, un second volume, Divertir pour dominer 2 (sous la direction de Cédric Biagini et Patrick Marcolini, L’Échappée, 2019) – un « 2 » en forme de clin d’œil ironique aux suites des blockbusters hollywoodiens ? – s’en prend avec une rare pertinence à de nouveaux sujets : les séries, les jeux vidéo, le porno, le consumérisme comme culture, l’art contemporain et l’introduction du virtuel dans l’art et les musées.
Quel que soit le sujet abordé, le plus petit dénominateur commun de ce volume est la dénonciation de la posture qui consiste, pour nombre d’intellectuels et de « faiseurs d’opinion », à voir dans ces formes originales d’aliénation et de formatage, de nouvelles catégories d’une culture populaire qui apporterait son lot de transgression, de subversion, de déconstruction, etc., et mériterait des études savantes spécifiques. On retrouve là la dernière trahison des clercs qui s’emploient à répandre ce « conformisme de la rébellion qui s’épanouit dans le monde intellectuel, et qui est le meilleur complice de l’ordre établi3 ». Les auteurs s’emploient à montrer l’inanité de cette attitude ridicule pour donner une critique sociale renouvelée de ces productions industrielles… C’est le premier des grains de sable dans la méga-machine !
Pour nous, les multiples tentatives d’éducation populaire en sont d’autres. Ainsi, le renouveau des universités populaires, dans le lointain prolongement d’une tradition initiée à la fin du XIXe siècle en marge de l’œuvre éducative du mouvement ouvrier, peut contribuer à enrayer la méga-machine. Ainsi l’Université populaire de Marseille a prouvé depuis 2013 qu’il était possible, sans appel aux institutions ni moyens matériels, de proposer un enseignement de qualité aux antipodes des produits formatés fournis par le marché4. Outre la philosophie, elle aborde l’histoire, la littérature, la musicologie et la biologie. Elle met à disposition le contenu de ses cours sous forme de fichiers texte ou vidéo et se prolonge par une collection d’ouvrages5.
Avec un peu d’esprit critique et beaucoup d’huile de coude, il est possible, et recommandé, de mettre de nouveaux grains de sable dans les rouages… Avis aux amateurs !
1 « Le monde de la culture pèse plus lourd que l’industrie automobile », Les Échos (07/11/2013) ; « La culture, ce poids lourd de l’économie française en quatre chiffres », LaTribune.fr (27/11/2015).
2 Lire Max Horkheimer, Theodor Adorno, « La production industrielle des biens culturels, raison et mystification des masses », in La dialectique de la Raison – Fragments philosophiques, Gallimard, 1974, p. 129-176.
3 Guy Scarpetta, « Pasolini, un réfractaire exemplaire », Le Monde diplomatique (02/2006).
4 Lire l’entretien avec Annick Stevens : « Les Universités populaires aujourd’hui : l’exemple de Marseille » dans La Révolution prolétarienne, n° 802 (09/2018).
5 Annick Stevens, Nietzsche, la passion des sommets (2018) ; Aristote, un fondateur méconnu (2019), chez l’Atinoir. À paraître : Christine Escoffier, Mille ans de révolte paysanne. Contre le servage et la privatisation des communs ; Jacques van Helden, Parlez-moi de vos gènes. Méthodes, découvertes et limites de la génétique de la personnalité.
Cet article a été publié dans
CQFD n°179 (septembre 2019)
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Paru dans CQFD n°179 (septembre 2019)
Dans la rubrique Bouquin
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Mis en ligne le 19.12.2019
Dans CQFD n°179 (septembre 2019)
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