Se loger, ce luxe

Allô logement bobo

En 2023, le nombre de sans-abris et mal-logés a augmenté de manière catastrophique (merci Macron). Petit bilan chiffré de cette misère organisée, suivi d’un zoom sur Marseille, icône du mal‑logement et vivier de luttes.
Une illustration de Djaber

Alors que l’hiver déboule et que les mort·es de la rue étaient plus de 600 en 20221, la fondation Abbé-Pierre a sorti son 28e rapport annuel sur l’état du mal-logement en France. Dedans, des chiffres affolants : plus d’un million de personnes privées de logement personnel, dont 330 000 sans domicile et 643 000 forcées de vivre chez des tiers ; plus de 2,8 millions de personnes vivant dans des conditions de logement très difficiles (absence d’eau courante, de WC intérieurs, de chauffage ou de cuisine, surpeuplement) ; ou encore 208 000 « Gens du voyage » subissant des conditions d’habitat indignes. Sans compter plus de 12 millions de personnes en situation de fragilité dans leur vie quotidienne (loyers impayés, copropriété en difficulté, précarité énergétique). Les femmes et minorités de genre sont particulièrement touchées, « en première ligne pour affronter les conséquences domestiques de l’habitat indigne, du surpeuplement ou de l’errance résidentielle  ». Et les violences conjugales apparaissent souvent en toile de fond des situations de précarité et d’exclusion sociale.

Les responsables de cette misère grandissante sont bien connus. Dans son rapport « Logement : inégalité à tous les étages », lui aussi paru en décembre, Oxfam France pointe les causes structurelles et politiques de la situation : fiscalité favorable aux multipropriétaires (des niches fiscales concentrent les investissements au détriment du logement social) et dérégulation du marché. Le désengagement progressif de l’État permet aux acteurs privés de procéder à la « financiarisation2 » du logement – c’est-à-dire de l’inclure dans leur course générale à la rentabilité. Mention spéciale « charognard » aux 10 % de Français les plus riches qui concentrent 44 % du patrimoine immobilier français3 ; aux investisseurs qui font du cash sur les plus précaires ; et aux plateformes de location courte durée comme Airbnb dont « le lobbying intense participe à l’immobilisme actuel ». La crise du logement touche près de 15 millions de personnes en France. Comprendre : pas besoin d’être dans la panade absolue pour en souffrir. L’explosion des loyers et des prix à l’achat en 2022 s’inscrit dans le prolongement de trois décennies de hausse. Idem concernant les dépenses énergétiques. Entre se chauffer, se nourrir, se soigner et payer son loyer, les dilemmes se multiplient. La journaliste Salomé Saqué explique que le logement est un « véritable carburant pour les inégalités4 » et l’un des principaux facteurs de pauvreté en France.

Mais d’autres choix – politiques – sont possibles : créer un service public du logement protégé de la financiarisation, limiter les locations de courte durée, mettre en place une planification du logement alignée avec une planification écologique, par exemple. On fait le point sur la situation à Marseille avec Kevin Vacher, membre du Collectif du 5 novembre – Noailles en colère, créé à la suite des effondrements de la rue d’Aubagne en 2018 et en lutte contre le mal-logement5.

Par Jonas Schnyder

Entretien avec Kevin Vacher, membre du Collectif du 5 novembre – Noailles en colère, créé à la suite des effondrements de la rue d’Aubagne en 2018 et en lutte contre le mal-logement

Le bilan du mal-logement en France est effrayant. Quelle est la situation à Marseille ?

« On n’a malheureusement pas de chiffres actualisés pour Marseille, mais on sait que plus de 40 000 personnes vivent dans des taudis, sans compter des centaines d’arrêtés de péril (850 encore actifs depuis 2018 selon nos comptages) représentant des personnes délogées en flots continus chaque mois. Environ 8000 personnes ont été délogées depuis 2018, dont 1300 encore en situations précaires. Cela n’inclut pas les personnes sans papiers qui n’ont pas réclamé leurs droits ou qui sont sous le joug de marchands de sommeil, ni les classes moyennes ou des propriétaires occupant·es, souvent pauvres, qui subissent une situation de déclassement. Et le tableau n’est pas complet. Des boîtes de Pandore n’ont pas encore été ouvertes par les autorités, en particulier les problèmes d’insalubrité et de non-respect des normes d’équipement collectif (ascenseurs, lumières, chauffages) dans le logement social. Le parc immobilier, déjà très dégradé à Marseille, et pas entretenu, est aussi menacé face au dérèglement climatique. »

Comment les autorités locales font face à cette situation ?

« À la suite des grosses mobilisations de 2018 et 2019, il y a eu quelques victoires obtenues. La charte du relogement, écrite par les personnes délogées, le collectif du 5 novembre et les assos, protège les personnes évacuées, en particulier sans droits ni titres ou propriétaires occupant·es. Il y a aussi le projet partenarial d’aménagement au centre-ville, mais il tarde à démarrer. Il y a des lenteurs coupables de la part de la mairie, de l’État et de la Métropole, autant sur la lutte contre le mal-logement que contre Airbnb. Et les moyens financiers, administratifs et humains ne sont pas suffisants. »

Marseille est connue pour ses fameux « marchands de sommeil ».

« Le terme de “marchands de sommeil” est ambigu et son cadrage médiatique souvent problématique. Il représente le côté “criminel” visible de l’habitat indigne, mais ne le résume pas, et de loin. Il ne faut pas oublier les petit·es propriétaires en incapacité de gérer leur logement (subventions qui n’arrivent pas, syndics véreux…) Et il y a tout un pan systémique où même les propriétaires moyens se retrouvent à adopter des logiques de rente : certain·es achètent des biens dans un état lamentable à très bas prix dans le but de les louer à des publics cibles pouvant bénéficier des APL… » Les rapports pointent aussi la responsabilité des plateformes de location comme Airbnb et leur public cible : les touristes.

« Pour Airbnb, même si les données ne sont pas toujours précises1, on sait que certain·es multipropriétaires s’organisent pour rester dans les clous de la loi, en mettant en place des systèmes de rachats des compensations : iels transforment des bureaux en logements habitables afin de revendre ensuite ce droit-là à des loueurs touristiques. Ça ne concerne pas tout Marseille, ni uniquement Marseille d’ailleurs, mais ce phénomène capte une partie du marché dans le centre-ville et met sous tension des quartiers alentour de la Plaine, ou le Panier, qui compte environ 10 % de meublés touristiques. Cela pose des questions plus larges : on aimerait un vrai débat sur le tourisme, par exemple, pour faire des choix intelligents et respectueux du cadre local. Le deuxième sujet c’est l’encadrement des loyers, qu’on a obtenu par des mobilisations il y a un an, mais dans le cadre d’une loi totalement insuffisante et avec une métropole qui traîne les pieds. »

Comment les populations locales et les assos s’organisent pour lutter contre le mal-logement ?

« Les luttes pour le logement sont chronophages et difficiles humainement, moralement, notamment pour des camarades directement concerné·es ou pour nous qui avons vu nos voisin·es mourir. Les gens sont épuisés. Mais il y a des pistes d’action. Le mouvement associatif en lutte contre l’habitat indigne à Marseille est historiquement très riche : à la fin des années 1990 à Belsunce ; depuis les années 2000 dans les cités HLM ou contre les expulsions rue de la République ; aujourd’hui à Air-Bel pour combattre les démolitions forcées et inutiles. Sur l’habitat indigne, le milieu associatif exerce une veille pour décortiquer ce qui se passe au niveau institutionnel, faire de l’accompagnement pour informer des droits, transmettre nos expériences… Il faut continuer à faire du syndicalisme de quartier et de l’habitat. Déployer un plaidoyer politique qui soit porté par les personnes concernées et non pas, comme c’est souvent le cas, par des techniciens qui voudraient faire croire aux gens que ça ne les concerne pas ou que ce sont des affaires privées. C’est un sujet politique ! Il faut le réhumaniser, pour dépasser la honte et passer à l’action. »

Propos recueillis par J.S

1 Les rapports du collectif Les Morts de la rue, de la fondation Abbé-Pierreet d’Oxfam France sont disponibles en ligne, sur leurs sites respectifs.

2 « Ce processus transforme le logement en un produit financier, et aboutit à une gestion avant tout “financière” du logement, provoquant des déséquilibres importants entre l’offre et la demande sur les marchés du logement. »

3 Autre chiffre parlant : 3,5 % des ménages détiennent 50 % des logements mis en location.

4 Voir l’émission « Une crise historique : pourquoi il devient impossible de se loger » (05/12/2023) sur le site de Blast.

5 Plus d’infos sur leur site : collectif5novembre.org.

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CQFD n°226 (janvier 2024)

Dans ce numéro de janvier, on essaie de ne pas se laisser asphyxier par l’info. Au programme, on décortique l’antisémitisme à gauche et on tend l’oreille vers la réception de la guerre en Palestine aux Etats-Unis. On fait le point sur le mal-logement qui grimpe, mais on parle aussi des luttes locales pour reconquérir l’urbanisme et nos villes et on se balade au Salon des minéraux, un exemplaire de Barge dans la poche.

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