Dossier “Culture du viol”

Carcan familial : au nom du père

Dans son ouvrage En bons pères de famille (JC Lattès, 2023), la militante et féministe Rose Lamy dissèque le mythe du patriarche, figure bien moins innocente qu’elle n’y paraît. Décortiquant les discours qui entretiennent sa bienveillance, elle expose les mécanismes par lesquels leurs violences sont rendues invisibles, voire « normales ».

À travers un récit intime et personnel, l’autrice Rose Lamy s’est penchée sur la figure du « bon père de famille ». Elle questionne cet homme « statistiquement normal » qui vit dans l’illusion de ne pas être un homme violent. « Dans cette fiction sociale écrite par les bons pères de famille […] les hommes violents, ce sont toujours les autres, les monstres, les fous, les étrangers, les marginaux », écrit-elle. Ce sont ces récits qu’elle décortique pour révéler tout un continuum de violences quotidiennes, et ce que les bons pères de famille mettent en place pour le rendre invisible ou « normal ».

Partant de l’exemple de son père, elle s’attaque à la cellule familiale et à une certaine conception de l’amour ou de la passion. En leurs noms, on plaide le « dérapage » envers des victimes « jamais totalement innocentes » ou on romantise carrément les violences morales et physiques. Les bons pères de famille alternent alors entre stratégie de victimisation et solidarité masculine, avant de dévier l’attention en pointant du doigt le « vrai » monstre, dont ils se distinguent. Ce mythe du monstre « bien rodé, efficace […] permet à une société entière de ne pas regarder en face la réalité des violences commises par les bons pères de famille ».

Un mythe qui peut aussi glisser vers son pendant raciste en visant « l’étranger ». « Contrairement à la violence des monstres considérée comme gratuite, chaotique, aléatoire, celle des étrangers suivrait un référentiel culturel, religieux et social, qui entrerait en concurrence avec l’organisation des bons pères de famille ». Des « rivaux civilisationnels » qui ne respecteraient pas la loi et les valeurs morales, et seraient un danger pour la société occidentale. L’autrice décrit aussi un discours fémonationaliste1 qui vise autant à faire oublier les violences des hommes « locaux  » qu’à « justifier des politiques sécuritaires, islamophobes et anti-immigration, en prétendant combattre des rivaux politiques qui viendraient troubler la paix entre les genres  ». Une « diversion » qui est double puisque ce discours est aussi utilisé pour attaquer les mouvements féministes en France par l’instrumentalisation d’autres femmes plus opprimées – « et vous faites quoi pour les femmes afghanes ? »

Par Jonas Schnyder

1 Concept élaboré par la chercheuse anglaise Sara R. Farris pour désigner l’instrumentalisation des valeurs féministes au profit de discours racistes et xénophobes.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°234 (octobre 2024)

Dans ce numéro, on revient avec Valérie Rey-Robert sur ce qu’est la culture du viol dans un dossier de quatre pages, avec en toile de fond l’affaire des viols de Mazan. On aborde aussi le culte du patriarche et les violences sexistes dans le cinéma d’auteur. Hors-dossier, Vincent Tiberj déconstruit le mythe de la droitisation de la France. On se penche sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, avant de revenir sur la grève victorieuse des femmes de chambres d’un hôtel de luxe à Marseille. Enfin, on sollicite votre soutien pour sortir CQFD de la dèche !

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