Dans mon salon

Des cailloux plein les poches

Trottiner d’un stand à l’autre, se glisser parmi les exposants, observer et prendre note, s’approprier un salon. Dans ce quatrième épisode, balade du dimanche au salon des minéraux et fossiles.

Est-ce que c’est parce qu’ils sont près du sol que les enfants aiment les cailloux ? Ils sont nombreux, galopant sur le lino des allées du salon des minéraux et fossiles1. L’un d’eux observe un bout de défense de Mammouth avec fascination. Alors que sa mère l’embarque à la recherche de dents de spinosaures, je demande à Maurizio ce qui l’a amené à réunir cette collection. Derrière son stand aux mille trésors, il évoque d’une voix enthousiaste sa « passion d’enfance » pour les grandes bêtes qui vivaient sur terre avant l’arrivée des hommes. L’enfance et l’ère glaciaire : des époques révolues, des mondes disparus. On ne s’en remet pas, Maurizio, comme je te comprends.

Jacqueline, retraitée, se tient à une béquille devant un bout de météorite tombé en Arizona. « Avant j’étais terrienne, maintenant je suis céleste et je sens les ondes  », confie-t-elle. Jacqueline déballe sa vie pas facile en quelques secondes. Orpheline, atteinte d’une maladie incurable qu’elle a refilée à ses enfants, elle croit au pouvoir des pierres et vote Rassemblement national. Oups. Difficile pourtant d’en vouloir à Jacqueline. Prise dans sa toile d’araignée, elle tisse des fils entre tout et rien pour s’accrocher aux branches. Alors elle peint des galets en bleu-blanc-rouge.

Raymonde, rencontrée un peu plus tard, me dit carrément que les pierres lui parlent. Voyant mes yeux s’écarquiller, elle se marre. Ouf, un peu de recul, ça fait pas de mal. Me montrant un homme penché au-dessus d’une roche violette à la forme inédite, elle se livre : « Mon mari est scientifique ; moi je suis un peu foldingue. On a pas le même caractère, mais on se rejoint grâce aux pierres  ». Tous deux ont un jeu : fermer les yeux, poser un caillou dans la main l’un de l’autre et se raconter ce qu’ils entendent. Pourquoi pas. S’ils sont un peu barrés, les visiteurs du salon des minéraux ne font de mal à personne. Je les trouve même assez touchants. C’est alors que je pose aux exposants la question qui fâche : d’où viennent ces pierres ? J’apprends que l’extrême majorité d’entre eux se fournissent à l’étranger : Pakistan, Maroc, Liban, Argentine… Certains possèdent leurs propres mines, comme ce type, nigérian, qui me montre une vidéo de ses employés. Coincés dans une brèche rocheuse à l’autre bout du monde, ceux-ci s’épuisent à extraire de la fluorite à coup de burins.

Taraudée par l’envie de fuir le pays des cristaux, je tombe sur un bonhomme aux cheveux ébouriffés, les yeux tout ronds derrière de grandes lunettes carrées. Alain est « artiste lapidaire » (titre qui contraste avec la douceur qu’il dégage) et se fournit en se baladant le long de la Durance. Pas vraiment branché lithothérapie2, il se soigne autrement : « Quand on tranche une pierre, c’est toujours un plaisir de découvrir ce qu’il y a à l’intérieur  ». Des formes qui se révèlent à lui, il fabrique des objets. Des bijoux, surtout. Pas trop chers. Avec patience. Comme un enfant, tout près du sol et la tête dans les étoiles, Alain s’applique à son travail, partant d’un geste simple : se promener, trouver de beaux cailloux et les mettre dans sa poche.

Par Pauline Laplace

1 Le 47e Salon des Minéraux, Fossiles, Gemmes et Bijoux de Marseille se tenait les 16 et 17 décembre à Marseille.

2 Méthode thérapeutique qui consiste à soigner au moyen de cristaux.

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CQFD n°226 (janvier 2024)

Dans ce numéro de janvier, on essaie de ne pas se laisser asphyxier par l’info. Au programme, on décortique l’antisémitisme à gauche et on tend l’oreille vers la réception de la guerre en Palestine aux Etats-Unis. On fait le point sur le mal-logement qui grimpe, mais on parle aussi des luttes locales pour reconquérir l’urbanisme et nos villes et on se balade au Salon des minéraux, un exemplaire de Barge dans la poche.

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