Victoire d’étape

À Lille, guérilla judiciaire contre projet nuisible

Contre les « rénovations » forcées de quartiers ou les « grands projets », les luttes sont rarement victorieuses. Dans le Nord, un récent succès montre l’intérêt de jouer sur plusieurs tableaux : sur le terrain bien sûr, mais aussi dans les tribunaux.

« Derrière leur morgue et leur suffisance, les élus sont des gens incompétents et ridicules. On est dix personnes et on a fait exploser le plus gros projet de Lille des trente dernières années.  » Le 5 octobre dernier, le pôle juridique des opposants au projet d’urbanisation de la friche Saint-Sauveur savourait. Le tribunal administratif venait de suspendre la déclaration d’intérêt général pour la requalification de cette ancienne gare de marchandises en bordure du centre-ville.

Le rêve de Martine Aubry, la maire socialiste, pour ces 23 hectares ? Y bâtir un nouveau quartier : 2 700 logements, 40 000 m2 de bureaux, 25 000 m2 de commerce, des équipements, des lieux culturels... Depuis 2016, quatre ans après la naissance du projet, le programme intègre même une imposante piscine à 50 millions d’euros, avec la candidature de Paris aux Jeux olympiques (JO) en ligne de mire. Il fallait voir la flamme olympique qui brillait dans les yeux des décideurs lorsqu’ils ont appris que la piscine accueillerait… les entraînements de quelques nageurs.

Anti-pauvres et anti-écolo

Mais fin 2017, quelques voix dissonantes se font entendre. Car cette débauche de béton et d’acier réduit les espaces verts à 5 pauvres hectares quand, aujourd’hui, le site est envahi d’une végétation dense et bigarrée, dans une ville qui en manque cruellement. Stanislas Dendievel, l’adjoint à l’urbanisme, contre-attaque illico. La contestation ? Une « radicalisation orchestrée par une minorité » qui se foutrait des 15 000 demandes de logements sociaux en attente dans la ville. « Nous avons des gens à loger, dira plus tard Martine Aubry. Et si certains ne le comprennent pas, qu’ils aillent habiter ailleurs. » Sauf que nombreux sont ceux qui ont en tête les expulsions de jeunes migrants et des campements roms qui s’étaient installés sur le site ces dernières années. Ainsi que les propos de la ministre du Logement, Emmanuelle Cosse, lors de sa venue en mars 2017 : « L’idée est de permettre aux classes moyennes de se loger dans du neuf au centre-ville. » En somme, un programme anti-écologique, mais aussi anti-pauvres. Sourds aux contestations, les élus passent en force et votent le projet.

Quelques mobilisations ponctuelles ont lieu sur le site et dans les réunions de concertation, mais sur le terrain, le rapport de force n’est pas en faveur des opposants. La mobilisation change donc de ring : c’est le début d’une bataille juridique. Objectif : faire tomber la déclaration d’intérêt général. «  Il s’agit d’un boulot assez rebutant, explique Thomas, de l’Association pour la suppression des pollutions industrielles (Aspi). Se fader la littérature grise des études d’impact, en trouver les failles et les incohérences… C’est du travail, mais ça paye. » Les requérants mettent en avant les conséquences écologiques du projet (pollution des nappes phréatiques et de l’air) et le manque d’information du public. Pressés par les échéances électorales, les techniciens avaient bâclé le boulot : les recours font mouche. Pour l’avocate Muriel Ruef, on a tendance à surestimer la force des adversaires : « Je crois que beaucoup de projets sont mal construits juridiquement. Ça vaut vraiment le coup d’aller y voir de plus près.  »

Détourner le droit

À Saint-Sauveur, le combat n’est pas terminé mais le pouvoir local a tout de même pris un sacré coup : pour l’heure, pas de JO 2024 à Lille et pas de permis de construire pour les promoteurs. Du côté des socialistes, c’est une débâcle qui pue la fin de règne. Pour l’autre camp, l’initiative incite à intégrer les stratégies juridiques au sein de la lutte (même si ça ne marche pas à tous les coups) et à jouer sur plusieurs tableaux sans pour autant les cloisonner. D’un côté, les militants s’invitent dans la procédure : « Sur des dossiers comme ça, je suis plus coordinatrice, explique Me Ruef. C’est vraiment un travail collectif réalisé en lien avec les associations. Quand on conteste un projet, on a une connaissance et une motivation parfois beaucoup plus importantes que ceux qui sont censés le mettre en place.  » De l’autre côté, le succès en justice devient un levier de mobilisation : « Notre victoire au tribunal a créé un engouement, une certaine joie, qui nous permet d’intensifier la mobilisation habitante », reprend Thomas, de l’Aspi.

Une première étape a été gagnée qui donne envie d’avancer. Il s’agit maintenant de changer de terrain et de regagner la friche pied à pied.

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