Répressions des associations

(Im)posture républicaine

À Lille comme à Rouen, la loi séparatisme et son contrat d’engagement républicain continuent de faire des dégâts dans le monde associatif. Énième épisode de répression des libertés associatives.
Illustration de Ruoyi Jin

Depuis la loi séparatisme de 2021, le contrat d’engagement républicain (CER) est la nouvelle arme de l’État pour couper les subventions des associations gênantes1. On se souvient en 2022 du planning familial de Chalon-sur-Saône attaqué par le maire pour avoir représenté une femme voilée sur sa communication. La même année, Alternatiba Poitiers avait été mis sous pression par la préfecture pour avoir organisé un débat sur la désobéissance civile tandis que des assos d’éduc pop de Brest étaient attaquées toujours par la pref pour leur soutien au squat l’Avenir2. Deux nouvelles affaires viennent de sortir. Elles permettent de mieux cerner certains effets néfastes du CER : l’absence de contradictoire, et des conséquences en cascade.

Des accusations ridicules

Le 30 avril dernier, on apprenait que la Métropole européenne de Lille (MEL) coupait 38 000 € de subventions à l’Atelier populaire d’urbanisme (APU) du Vieux-Lille, une association de défense des locataires et de soutien aux luttes d’habitants. Son tort ? Avoir été présente lors d’une expulsion de plusieurs familles de gens du voyage mi-février. La MEL, qui diligentait l’expulsion, accuse l’association d’avoir enfreint le CER en ayant généré« un climat de violence et de haine 3 » à l’encontre de ses agents présents sur les lieux.

Sauf que pour étayer ses accusations, l’institution s’emmêle les pinceaux : lors d’un premier rendez-vous le 19 avril, elle accuse une des salariées de l’APU « d’avoir prononcé deux phrases envers des agents de la MEL présents lors de l’expulsion. La première : “Vous n’avez pas honte ?” Et la seconde, une question du type : “Est-ce que vous dormirez sur vos deux oreilles après avoir réalisé cette expulsion ?” » Face au ridicule des accusations, l’institution rétropédale quelques jours plus tard. Dans une interview à France 3 Région, la directrice « habitat » de l’institution explique que « la question des phrases est anecdotique, ce n’est pas le fond du problème ». Mais quel est-il alors ? Plus de trois mois après les faits, on ne sait toujours pas. De son côté, l’association nie formellement ces accusations depuis le premier jour et assume son intervention sur le terrain : « Non seulement [notre intervention] n’était pas entachée d’erreurs mais [elle] montre en réalité une implication entière dans la mission qui est la nôtre : soutien moral aux familles expulsées, prise d’informations auprès de l’huissier, contacts téléphoniques avec le vice-président et d’autres élus de la MEL, négociation du relogement avec les agents, etc. » Et de s’interroger : « En pleine crise du logement, alors que les impayés et les expulsions explosent et que l’accès aux droits des mal-logés est toujours plus fragilisé, pourquoi vouloir la mort de l’APU du Vieux-Lille ? »

Cascade d’emmerdes

Quelques jours plus tard, le 16 mai, c’est l’Association de soutien à tous les immigrés4 (ASTI) de Petit-Quevilly, près de Rouen, qui se faisait couper l’ensemble de ses subventions « politique de la ville » tandis que deux postes d’adulte-relais n’étaient pas renouvelés par la préfecture de Seine-Maritime. Cette association de quartier populaire, qui développe une multitude d’actions à destination des jeunes et de leurs parents, est attaquée pour sa dénonciation des violences policières. Plus précisément elle est accusée d’avoir relayé un appel à manifestation devant la mairie de Rouen suite à l’assassinat de Nahel Merzouk, à Nanterre, en juin dernier5. Un rassemblement interdit quelques heures avant par la préfecture et appelé par un grand nombre d’organisations locales (LFI, Soulèvements de la terre, NPA, Solidaires…) qui s’est finalement déroulé dans le calme.

Ce n’est que huit mois plus tard, suite à un premier rendez-vous avec un sous-préfet, et en voyant toutes ses demandes de subvention restées sans réponse, que l’association commence à s’inquiéter. Elle sollicite à plusieurs reprises la préfecture, qui reste évasive. Le 26 mars, un courrier du préfet vient en partie lever le flou. Il prévient l’ASTI qu’« il est attendu d’une association qui sollicite des subventions publiques de conserver une posture républicaine et de s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public conformément aux engagements pris ». Et se fait plus précis en reprochant ensuite « les positions exprimées par [l’] association suite aux émeutes de l’été 2023 et notamment les jugements que l’association porte précisément sur les services de police ». Les deux assos ont fait appel à l’Observatoire des libertés associatives pour les aider juridiquement, et ont prévu des évènements publics pour organiser la riposte.

Par Ettore Fontana

1 Lire « Chantage à l’idéologie républicaine », CQFD n°221 (juin 2023).

2 Lire « À Brest, préfet répressif contre milieu associatif », CQFD n°229 (avril 2024).

3 « À Lille, une association d’aide aux mal-logés, nouvelle victime de la loi séparatisme », Mediapart, 30/04/2024.

4 Plus d’infos sur : astipetitquevilly.fr.

5 « En Seine-Maritime, l’État sanctionne une association de solidarité qui a appelé à se mobiliser contre les violences policières », Mediapart, 16/05/2024.

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CQFD n° 231 (en kiosque)

Dans ce numéro de juin, on écoute le vieux monde paniquer. On suit les luttes des personnes trans pour leurs droits, on célèbre la mort de Jean-Claude Gaudin, et on s’intéresse à la mémoire historique, avec l’autre 8 mai en Algérie. Mais aussi un petit tour sur la côte bretonne, des godes affichés au mur, de la danse de forêt et un aperçu de l’internationalisme anarchiste. Bonne lecture !

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