La ZAD vote à coups de marteau

ZAD : « Refaire un dôme »

À Notre-Dame-des-Landes, le vote pour ou contre l’aéroport n’a guère pesé sur l’unité des opposants, bien enracinée.

Pour la bande son, c’est comme si une nuée de Woody woodpeckers en salopettes s’était abattue sur les murs de la ferme de La Rolandière, piquetant les enduits, libérant l’appareillage des pierres, cognant à qui mieux mieux pour émietter les parois. « Il faut péter le parement pour laisser la pierre respirer », explique Mathilde, marteau en main, de la poussière beige plein les joues.

« Le chantier se poursuit cet été pour ouvrir à l’automne un espace d’accueil, une porte d’entrée de la ZAD, avec coin librairie, infokiosque... On pourra y boire un thé, trouver une carte de la ZAD, et transmettre l’histoire de la lutte, et des autres luttes. Pas vraiment un syndicat d’initiative, donc. On y proposera des formations, à l’art-activisme par exemple », sourit Isa. Elle est l’une des sept personnes à occuper cette ferme qu’un opposant historique leur a transférée il y a deux mois, ravi que sa maison serve de lieu collectif. Un mur porteur de l’ancienne étable a été défoncé. Étayé, il attend un linteau pour accueillir deux belles baies vitrées. Dans le hangar derrière, l’avenir s’écrit aussi à l’arrache-clou. Une équipe d’une demi-douzaine de femmes et d’hommes découpe des palettes, retire les clous, stocke les planches qui serviront de lambris intérieur, après isolation à la paille.

Une ficelle arrime le portrait en pied, grandeur nature, d’Emiliano Zapata, sombrero en auréole, moustaches pointues et carabine en main. « Pour la presse, on rajoute une rose au bout du fusil ? » rigole John, un « britiche » fervent amateur d’utopie et d’autogestion. À l’entrée du chemin, le plan de la ferme à la craie a fait figurer des flèches vers le Rojava kurde, le Val de Suze italien où se mène la lutte contre le Lyon Turin, et l’Utopie qui est partout comme la ZAD. Ou les Zads, on ne sait plus. Il y a là un Américain venu de Barcelone, deux cégétistes, un Anglais émigré du Morbihan, un Parisien en maillot à rayures, tous venus donner le coup de main militant.

Nuit de boue. Une flèche à la craie pointe aussi vers « Le Gourbi », un lieu-dit où se construit un dôme dont le jeu de mot fait un pied de nez au scrutin. C’est l’opération « Refaire un dôme ». Si on n’était pas dans un espace qui accueille des sans-papiers, sert de point de ralliement aux zadistes de partout, aux militants de Bure, du Val de Suze, tisse des liens durables avec les zapatistes du Chiapas et des dizaines de comités de toute la France, on pourrait croire qu’on y a juste récréé une colonie hippie. Symbole de l’imagerie des seventies néo-rurales, le dôme géodésique est boulonné avec soin, par quelques chevelus à cheval sur les croisillons de métal noir. Au pied de cette sphère arachnéenne, la terre grasse arrachée à une souille devient matériau de construction. Crottés jusqu’au ventre, les mains et les pieds jaunes, ils sont cinq à piétiner la glaise ocre dans un trou du sol, dansant d’un pied sur l’autre en rigolant. Une autre équipe mêle la bouillasse à de la paille, et la bourre à la main aux mailles du grillage entrelacé de branches souples. Après l’effort, certains se reposent dans des meules de foin bucoliquement posées près du bassin d’argile orangée.

« Tous ces gens qui normalement refusent le travail, il a fallu les arrêter, les 3x8, ça les grise », dit Amélie. Toute la nuit, ils et elles ont monté le mur en torchis en dansant dans l’argile. « Le lever du jour, c’était génial. J’avais fait une sieste dans mon camion, à côté. J’ai démarré dans la boue à deux heures du mat’ », ajoute Lucille en se roulant une cigarette tordue. Cette nuit de boue a dopé les enthousiasmes.

Organiser ces chantiers collectifs est un moyen de répondre dans les faits à la question du vote. Un signe politique clair. On reste là, et on construit l’avenir. À l’annonce du référendum, l’occupation de la quatre-voies Nantes-Vannes le 27 février dernier aura été la réponse portée par 60 000 personnes, le double si l’on compte le nombre de godasses piétinant le bitume. Quatre mois après ce vote avec les pieds, celui de ce 26 juin n’entame pas la détermination. Lancer les travaux de l’aéroport est inenvisageable sans une évacuation préalable. Le soutien des opposants, citoyens, élus, paysans, comités de toute la France rend la perspective difficile d’un point de vue militaire. Surtout après l’échec de l’opération César à l’automne 2012.

« Mais faut pas dire qu’ici, ce serait le versant de la ZAD qui ne vote pas à la consultation. Certains sont passés débroussailler ce matin et vont aller voter », dit Mathilde. Même si beaucoup ont une aversion tenace pour toute idée de vote, même lors des assemblées entre zadistes, personne ne jettera la pierre à celles et ceux qui feront pour une fois une entorse aux principes en allant mettre un bulletin « non » dans une boîte. D’ailleurs, aucune campagne de boycott ou de dénigrement du « référendum-qu’en-n’est-pas-un » n’a été lancée. Point de discorde à l’horizon, donc. Le sujet est discuté depuis quatre mois et tout le monde s’entend pour reconnaître que ce coup des urnes n’est qu’une belle embrouille politicarde pour tenter d’accrocher une légitimité populaire à un dossier qui en manque tant. Et que la consultation est tout autant illégitime que le projet.

Même si les mots sont piégés, notamment la déclaration « d’utilité publique » qui laisse entendre que l’intérêt général primerait celui des actionnaires de Vinci. Curieusement, ce lapin sorti du chapeau par le gouvernement n’a suscité aucune approbation, ni des partisans du projet exaspérés de voir soumettre la décision à un scrutin qui paraît ne tenir aucun compte des procédures déjà engagées. Les opposants qui ont mené campagne pour le non maintiennent que le résultat ne les fera pas fléchir d’un iota.

Valls a beau taper du pied en donnant des coups de menton, il en est à la quatrième annonce d’évacuation des zadistes, déjà promise mordicus en décembre 2015, en janvier, en mars et désormais en novembre. Pour Françoise Verchère, opposante au projet et membre du Parti de gauche, ce référendum local, rebaptisé consultation pour avis, « c’est une entourloupe de Manuel Valls en réponse à Ségolène Royal qui prône une remise à plat du dossier avec deux études indépendantes, sur l’exposition au bruit et sur une comparaison des coûts avec le maintien et le réaménagement de l’actuel aéroport. La consultation arrive pile pour court-circuiter ces études. Elles risquaient de faire exploser les chiffres avancés par la direction de l’aviation civile qui a truqué ses données ». Julien Durand, porte-parole de l’association citoyenne, est clair. « On a toujours annoncé la couleur : peu importe le résultat, on n’en tiendra pas compte. »

Le samedi, sur les chantiers, les paris ont été ouverts. Sur un tableau noir intitulé Bookmaking s’alignent les scores de participation et l’issue escomptée du scrutin, oui ou non. On pouvait gagner une soupière kitsch, un pot de miel, ou une poignée de main sans élan. 51% des 967 500 inscrits sont en fait allés voter1 . De quoi se désoler, sauf si on ne reconnaissait aucune légitimité à cette énième couche de fausse démocratie. À l’annonce des scores, dans le hangar de la Vacherit, QG du mouvement, le chœur unanime, les T-shirts maculés de la boue du mix paille-terre, a scandé « Résistance ! » avec conviction. En ces terres insoumises, bâtir l’avenir est un grand chantier permanent.

Le coin du "Oui" à l’aéroport


1 Au final, le « oui » à l’aéroport l’emporte avec 55, 17%.

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