Trump et Musk, symptômes de la chute à venir

Une civilisation mourante

Le camarade John Marcotte, parfois correspondant de CQFD dans le Massachusetts, nous a fait parvenir ce texte pas franchement optimiste. On a choisi de le traduire car il permet de considérer avec une certaine hauteur historique le grand barouf fasciste outre-Atlantique.

Donc voilà : le coup d’État a bien eu lieu. Derrière Elon Musk et Donald Trump se dresse quelque chose de plus massif. Ces acteurs de l’histoire montent sur la scène d’un empire en décomposition, tout comme l’avaient fait Néron et Caligula à Rome. Ils font irruption en tant qu’agents de forces qui les dépassent ; en l’occurrence, pas seulement un empire en berne, mais le déclin d’une civilisation industrielle basée sur les énergies fossiles. Et si le saut par-dessus la falaise est assuré, il est terrifiant de regarder vers le bas, là où gisent les ruines d’autres civilisations : l’Empire romain, mais aussi les Assyriens, les Mayas, et ainsi de suite.

Qu’est-ce qui a propulsé Trump ? MAGA (Make America Great Again) – un enracinement dans le passé, dans la mesure où le capitalisme contemporain n’est plus à même d’offrir un niveau de vie florissant pour les masses de ce pays. L’incantation MAGA est empreinte de nostalgie, s’inscrit dans un fantasme d’époque idyllique – toute entière emballée dans la misogynie, le racisme, la haine et la peur, elle se veut une réponse à un système qui n’a pas tenu ses promesses.

Le mouvement MAGA est une réponse au déclin progressif du niveau de vie de la classe travailleuse

La crise pétrolière des années 1970, de même que la dette liée à la débâcle de la guerre du Vietnam, ont engendré les premiers appels à l’« austérité » et aux « coupures budgétaires ». Ont suivi la crise fiscale new-yorkaise de 1975, le licenciement des contrôleurs aériens par Ronald Reagan et une guerre généralisée contre les syndicats ; mais aussi le développement de la Rust Belt1, « ceinture de rouille », à mesure que les industries se délocalisaient au Sud, puis de l’autre côté des océans, pour conserver leurs marges bénéficiaires. Le mouvement MAGA est une réponse au déclin progressif du niveau de vie de la classe travailleuse, dont j’ai été le témoin et la victime.

Mais soyons clair : le Green New Deal (GND)2 est lui aussi un programme réactionnaire, basé sur une nostalgie d’un soi-disant âge d’or. Au lieu de la domination de fer typique des années 1950, exercée par les hommes blancs hétérosexuels de MAGA, le GND se languit de l’époque de Franklin D. Roosevelt, des grands projets gouvernementaux et de l’ultime programme de travaux publics : la Seconde Guerre mondiale. Ah si seulement nous pouvions être sur le pied de guerre, mais cette fois pour une guerre technologique contre le réchauffement climatique !

Nous avons atteint une étape de la civilisation industrielle où nous pouvons discerner les détails de ce mur que nous sommes sur le point d’emboutir

Des deux côtés, aucun réalisme. Confrontés à la peur d’un futur incertain, droite comme gauche voudraient faire machine arrière. Mais on ne peut jamais faire demi-tour.

[…] Nous avons atteint une étape de la civilisation industrielle où nous pouvons discerner les détails de ce mur que nous sommes sur le point d’emboutir. D’où le malaise et la nostalgie. L’épuisement des ressources est indéniable, qu’il s’agisse des terres rares pour les batteries et l’électronique, du sable pour le béton, des sols fertiles, voire du pétrole et du gaz (la fracturation hydraulique a ouvert de nouvelles réserves, mais elles ne sont pas infinies). Dans le même temps, nous nous noyons dans nos déchets : le CO2 réchauffe la Terre en provoquant tempêtes et incendies destructeurs, les plastiques étouffent nos océans, les produits chimiques grouillent dans l’eau.

Malgré tout, nous ne savons faire qu’une chose : continuer à creuser, brûler, raser davantage de forêts tropicales afin de planter du soja pour encore plus de hamburgers – rien ne ralentit.

Aujourd’hui nous savons, au plus profond de nous-mêmes, que cela ne peut continuer indéfiniment.

Mais comment stopper la machine ? Quand le PIB cesse de grimper ne serait-ce que d’un pour cent, les travailleurs sont propulsés dans la misère et les gouvernements tombent.

Tout le capital pioché dans notre fond de Sécurité sociale ne sera pas suffisant pour continuer à faire tourner indéfiniment les roues du capitalisme

Les cinglés Trump et Musk ne sont qu’un symptôme. Toutes les coupes dans les besoins humains ne résoudront pas la crise. Ils vont faire les poches des travailleurs, des plus pauvres, pour dénicher le capital qui financera les délires de Musk pour coloniser Mars (et s’enrichir avec ses potes dans le processus), mais cela aussi sera temporaire. Tout le capital pioché dans notre fond de Sécurité sociale ne sera pas suffisant pour continuer à faire tourner indéfiniment les roues du capitalisme. Et ne comptez pas sur les « adultes dans la pièce », les politiciens, les cadres de l’ONU, les économistes et les ingénieurs. Ils sont tout aussi paumés que nous.

Un indice révélateur de la gravité de leur crise : à la vieille époque des oligarques, Andrew Carnegie, Andrew Mellon, John Pierpont Morgan, John Davison Rockefeller et cie se faisaient des fortunes en construisant chemins de fer, mines de charbon, acier, bateaux. Comparez avec aujourd’hui : le capitalisme contemporain ne repose que sur la finance et le contrôle social – spéculation, pyramides de Ponzi, magouilles sur les bitcoins, fonds spéculatifs. Ils nous vendent des mensonges, font de l’argent sur du vide, en ne créant rien. Un pur casino.

Quand on étudie l’histoire, on voit comment les civilisations se développent et déclinent, généralement suivant une courbe en forme de cloche. Ni les Romains ni les Mayas n’ont disparu du jour au lendemain. Nous avons connu plusieurs périodes de déclin progressif entre le choc pétrolier des années 1970 et aujourd’hui. Il peut y avoir des moments de changement dramatique – ce qui sera le cas avec le coup d’État DOGE3 s’il parvient à ses fins. Dans ce cas, nous, les travailleurs, serons projetés dans un mode de vie ressemblant à celui des années 1920 (travailler jusqu’à la mort, pas d’assurance sociale, répression des syndicats, misère généralisée). Nos petits-enfants pourraient ne jamais connaître l’assurance maladie, l’eau courante potable pourrait devenir un privilège réservé à certains, etc. Leurs propres petits-enfants risquent d’endurer une réalité physique encore plus désastreuse : des catastrophes climatiques causant des destructions si vastes que l’homme serait incapable de reconstruire après. Rappelez-vous : c’est Mère Nature qui est aux commandes. Et notre choix, décider de l’aider ou continuer obstinément notre travail de destruction, pèsera dans la balance.

Cette époque est mourante, c’est ce que sous-titre l’avènement de Musk, Trump et du DOGE

Parce que ce sont uniquement les énergies fossiles, à commencer par le charbon, qui ont rendu possible l’avènement de cette civilisation industrielle, pas « l’ingéniosité ». Eh non, il n’est nullement possible de remplacer ces quantités considérables d’énergie concentrée, et ce n’est pas rendre service aux humains que de prétendre que la « technologie verte » pourrait résoudre le problème. Oui, le solaire et l’énergie éolienne peuvent nous aider à vivre à un degré de dépense énergétique plus bas que ce que nous pratiquons aujourd’hui ; mais si les êtres humains n’ont pas besoin de quantités illimitées d’électricité, ce n’est pas le cas du capitalisme. […] Les énergies fossiles étaient une offrande de millions d’années d’énergie emmagasinée, que le capitalisme a dilapidée furieusement pour créer des fortunes immenses pendant des siècles.

Cette époque est mourante. C’est ce que sous-titre l’avènement de Musk, Trump et du DOGE. Gardons-le en tête, même quand nous luttons contre ces oligarques : oui nous les combattons, mais ils ne sont rien d’autre que les symptômes d’un malheur bien plus vaste. [...]

Nous n’avons pas le choix. Le Vieux Monde est mourant [...] et le nouveau n’est pas encore né. Mais les graines de ce renouveau sont déjà plantées dans nos petites villes, dans nos quartiers, partout où nous nous associons pour nous entraider, partout où nous prenons soin les uns des autres. Nous savons ce qu’il faut faire. Personne d’autre ne nous sauvera. Et nous sommes à la veille d’un long voyage, très long.

John Marcotte, février 2025 (traduit par E.B.)

1 Jusque dans les années 1970, cette région industrielle du nord-est des États-Unis était nommée la « Manufacturing Belt », avant de changer d’appellation après son déclin économique.

2 Reprise du programme de Roosevelt, le New Deal, basé sur une politique de relance de l’économie par l’État, mais teinté d’oripeaux écologiques.

3 « Department of Government Efficiency », ou « Département de l’efficacité gouvernementale », créé par Trump le premier jour de son second mandat. C’est lui qui a notamment organisé les licenciements de masse d’employés fédéraux.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°240 (avril 2025)

Dans ce numéro, un grand dossier « ruralité ». Avec des sociologues et des reportages, on analyse le regard porté sur les habitants des campagnes. Et on se demande : quelles sont leurs galères et leurs aspirations spécifiques, forcément très diverses ? Et puis, comment faire vivre l’idée de gauche en milieu rural ? Hors dossier, on tient le piquet de grève chez un sous-traitant d’Audi en Belgique, avant de se questionner sur la guerre en Ukraine et de plonger dans l’histoire (et l’héritage) du féminisme yougoslave.

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