Lu dans... « Middle East Eye »
En Inde, les musulmans ont peur pendant le Ramadan

« Le Ramadan est censé être une période de paix pour les musulmans à travers le monde, mais en Inde, la “plus grande démocratie du monde”, les choses sont bien différentes. L’appel à la prière résonne à côté des cris des foules haineuses, du bruit des bulldozers et des cortèges funéraires. Quelque part, un musulman est arrêté, battu ou tué. Un portail de mosquée est enfoncé. Une maison est rasée. Quelque part encore, on fera état de musulmans forcés à scander des slogans nationalistes hindous ; on relèvera qu’un politicien du Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir a eu des mots insultants envers les musulmans ou on annoncera une attaque contre un rassemblement autour d’un repas de rupture du jeûne.
[…] Il fut un temps où ces incidents étaient choquants – ils provoquaient l’indignation, des débats, ou au moins une réaction de la part de l’État et de la société civile. Aujourd’hui, ils passent quasiment inaperçus. La violence est devenue si habituelle, si attendue, qu’elle fait désormais partie du quotidien. Une réalité incontournable accompagnée d’un avertissement clair : restez discrets, invisibles ou soyez punis.
Cette année, le Ramadan a coïncidé avec la fête hindoue de Holi. Et dans plusieurs villes, des groupes nationalistes hindous ont utilisé les processions de Holi comme prétexte pour harceler des musulmans. Ce schéma est récurrent : ce qui commence comme une “célébration” se transforme rapidement en violence organisée. [...] À Nagpur, dans le Maharashtra, la demande des nationalistes hindous de démolir la tombe d’un souverain moghol [de confession musulmane, Ndlr] a déclenché des violences faisant des dizaines de blessés, y compris parmi la police. Finalement, plus de 50 personnes ont été inculpées, toutes musulmanes – une sanction déguisée en décision démocratique. Ceux qui ont incité à la violence n’ont subi aucune conséquence. Voilà comment cela fonctionne désormais : lorsque la violence éclate, ce sont les victimes qui sont criminalisées.
Pendant Holi, des vidéos ont montré des foules jetant des poudres colorées sur des mosquées et scandant des slogans anti-musulmans. À Aligarh, les autorités ont recouvert de bâches des mosquées, un message clair à la communauté pour qu’elle se fasse discrète. La même scène s’est reproduite ailleurs dans l’Uttar Pradesh, comme si l’existence des lieux musulmans dans l’espace public était une invitation à la violence.
[…] L’État ne refuse pas seulement de tenir responsables les foules hindoues nationalistes ; il punit activement ceux qui osent dénoncer. Les musulmans souffrent ainsi deux fois : d’abord victimes des foules, ensuite des forces de l’ordre, des tribunaux et du gouvernement. Lorsqu’une personne de la communauté est lynchée, sa famille est ciblée par la police. Lorsqu’une musulmane ose parler, elle est harcelée, exposée publiquement, menacée de viol.
[...] Mais nous n’oublions pas. Nous ne disparaissons pas, peu importe leurs désirs. Nous ne demandons pas la permission d’exister, nous n’attendons pas qu’on nous accorde la justice. Nous sommes là, nous jeûnons, nous prions, nous vivons. Et cela en soi est déjà un acte de résistance. »
L’article original a été publié par « Middle East Eye »
Cet article a été publié dans
CQFD n°240 (avril 2025)
Dans ce numéro, un grand dossier « ruralité ». Avec des sociologues et des reportages, on analyse le regard porté sur les habitants des campagnes. Et on se demande : quelles sont leurs galères et leurs aspirations spécifiques, forcément très diverses ? Et puis, comment faire vivre l’idée de gauche en milieu rural ? Hors dossier, on tient le piquet de grève chez un sous-traitant d’Audi en Belgique, avant de se questionner sur la guerre en Ukraine et de plonger dans l’histoire (et l’héritage) du féminisme yougoslave.
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Paru dans CQFD n°240 (avril 2025)
Dans la rubrique Morceaux volés
Par
Illustré par Yann Forget / Wikimedia Commons
Mis en ligne le 11.04.2025