Capture d’écran
Admise en fac, sponso par Amazon
Ado, j’ai eu l’honneur de recevoir de mon père un sésame précieux : un accès à MTV. La chaîne payante m’ouvrait une fenêtre sur la culture ricaine, aussi capitaliste que kitsch. L’émission culte ? « Mon Incroyable Anniversaire » : pour leur seize ans, des ados voyaient leurs parents claquer des centaines de milliers de dollars pour une fête de dingo, avec concert privé de rap RnB et 4x4 rose bonbon personnalisé.
Aujourd’hui, plus besoin de MTV pour que les riches mettent en scène sous caméras chaque étape de leur vie : les réseaux sociaux prennent le relai. Au pays de Donald, gender reveals (fumigènes rose ou bleu pour révéler le sexe d’un fœtus), baby showers calibrées à la couleur du glaçage des cupcakes, enterrements de vie de jeune fille sponsorisés par Shein… Et depuis quelque temps : la bed party.
Le concept ? Célébrer son admission à l’université en décorant son lit avec les couleurs de sa future fac, des ballons, des sacs, des sweats, des goodies… Et sur TikTok, toutes les vidéos se ressemblent : caméra frontale sur l’ado qui mime la surprise, cris de joie, plan fixe sur le lit.
Aux États-Unis, la fac peut coûter jusqu’à 100 000 dollars. La bed party creuse la fracture.
Selon le New York Times, certaines agences événementielles facturent ces bed parties à partir de 1 000 dollars, déco non comprise. Une tradition née pendant la pandémie, où l’interaction sociale se vivait par écran interposé… mais devenue, depuis, un nouveau totem de validation sociale. Le tout dans une surenchère consumériste, les décors, en plastique, jetés après la fête viennent d’Amazon.
Aux États-Unis, la fac peut coûter jusqu’à 100 000 dollars. La bed party creuse la fracture. Ce nouveau rituel 2.0 permet d’afficher sur les réseaux son succès académique, mais aussi son statut social et donc sa richesse.
Et ce n’est pas la seule mise en scène coûteuse qui pèse sur les étudiantes pour exister sur les campus. Depuis 2021 sur TikTok, des millions d’Américain·es suivent comme une téléréalité les « rush », cette gigantesque course aux sororités. C’est un marathon de plusieurs jours où les candidates enchaînent entretiens et défis. Officiellement, ces clubs aux noms en lettres grecques – Alpha Phi, Zeta Tau Alpha – favorisent l’entraide… Officieusement, ils coûtent une blinde et s’adressent aux jeunes femmes, riches et blanches qui doivent par ailleurs se faire l’effigie d’une certaine moralité, avec interdiction de poser sur des photos avec de l’alcool et des mecs. Il faut compter jusqu’à 10 000 dollars le semestre versés directement à la sororité. Sans parler des tenues à acheter pour chaque phase du rush : une robe blanche pour la journée d’ouverture, des talons couleur chair, une pochette qui va avec. Tout est codé, tout est posté. La sélection se fait à l’œil, au sourire et au statut.
Les réseaux sociaux n’ont pas créé ces inégalités, mais ils leur ont offert un ring. Des universités américaines ne se contentent plus de vendre des diplômes, elles vendent un lifestyle à six chiffres.
Cet article a été publié dans
CQFD n°240 (avril 2025)
Dans ce numéro, un grand dossier « ruralité ». Avec des sociologues et des reportages, on analyse le regard porté sur les habitants des campagnes. Et on se demande : quelles sont leurs galères et leurs aspirations spécifiques, forcément très diverses ? Et puis, comment faire vivre l’idée de gauche en milieu rural ? Hors dossier, on tient le piquet de grève chez un sous-traitant d’Audi en Belgique, avant de se questionner sur la guerre en Ukraine et de plonger dans l’histoire (et l’héritage) du féminisme yougoslave.
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Paru dans CQFD n°240 (avril 2025)
Dans la rubrique Capture d’écran
Par
Illustré par Céleste Maurel
Mis en ligne le 17.04.2025
Dans CQFD n°240 (avril 2025)
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