Pour Rado, c’est bientôt une autre galère qui débute. Carcérale, celle-ci. En 1904, l’adolescent écope de quelques mois de placard pour diffusion de propagande socialo (son jeune âge lui évite le bagne). Derrière les barreaux, il rencontre l’anarchiste Fedosey Zubariev, avec qui il échange beaucoup. Et une fois libéré, il participe à la Révolution de 1905, sur fond de bouillonnement anarchiste – les idées d’action directe et de grève générale sont en plein boom. Dénoncé, il doit être exfiltré en Galicie, une province polonaise. Il y poursuit la lutte, ce qui lui vaut une nouvelle arrestation. Mais pas question, cette fois, d’attendre le procès et de risquer la déportation en Sibérie. Acculé, Rado se procure de faux fafs et embarque pour l’Argentine.
Il y arrive en 1908 , en pleine agitation. Les anarchistes font en effet face à une féroce répression, conduite par le chef de la police, le colonel Falcón. Pour point d’orgue : la charge policière du cortège anar le 1er mai 1909 à Buenos Aires (8 morts, 105 blessés). Présent à la manif, Rado est décidé à venger les victimes, et tient parole le 14 novembre 1909, en lançant une bombe sur Falcón. Boum, trépas du colon. Coursé après l’attentat, le jeune homme est arrêté – il tente alors de se suicider, sans succès. Procès, derechef. Rado échappe finalement à la peine capitale, en raison de son âge. Mais pas au bagne – il y part pour une durée indéterminée. Et avec un régime spécial : « Avec isolement au pain sec et à l’eau pendant vingt jours tous les ans à l’approche de la date anniversaire de son crime. »
Au bout de deux ans, le voilà transféré au bagne d’Ushuaia, à la très sombre réputation. Le froid, la diète forcée, les tortures du corps et de l’esprit y sont quotidiens, la folie et la mort guettent chacun. Pas de quoi décourager Rado, pourtant. En 1918, après neuf piges emmuré, il se déguise en gardien et se fait la belle en bateau. Las, il est repris. Et doit encore attendre douze ans avant d’être libéré, en 1930.
Vingt et une années de bagne, mais il est vivant ! Mieux, il ne lâche rien. Expédié au Brésil puis en Uruguay, il y continue ses activités subversives. Résultat, deux ans de taule – encore. En 1936, il rejoint l’Espagne, passant dix mois sur le front aragonais dans une brigade anar. Après l’amère défaite, il est interné dans un camp des Pyrénées, avant de gagner le Mexique, y exerçant différents boulots tout en écrivant des articles anars. C’est en 1956 qu’il se fait définitivement la malle. La cause de sa mort reste floue, comme sa date de naissance. Par contre, l’essence de sa vie, joliment racontée dans l’ouvrage De la Russie à l’Argentine, parcours d’un anarchiste au début du XXe siècle, n’a jamais changé : « Je ne suis rien, mais pour chacun de vous je suis une bombe ! »
[/Will Oche/]